Littérature et Idée Mythopoétique Poétique du récit Espaces littéraires transculturels Perspectives critiques en littérature et poétique comparées Recherches sur la littérature russe Musique et littérature Observatoire des écritures contemporaines
Recherche par auteur étudié  :
Recherche par thème  :
Recherche dans tout le site :
COLLOQUES


LES LETTRES FRANCOPHONES, HISPANOPHONES, LUSOPHONES ET LA LATINITE
Latinité désirée, latinité rejetée
Sur quelques ambiguïtés d’un concept en contexte francophone

Véronique Porra (Johannes Gutenberg-Universität Mainz)


Dans le contexte de la mondialisation grandissante, le passage à ce que Jürgen Habermas a appelé une « constellation postnationale »1, a entraîné des redéfinitions d’ordre identitaire et la recherche d’autres espaces réels et symboliques d’identification. Face à un ordre mondial qui a vu, au tournant du millénaire, de plus en plus se développer une hégémonie américaine, économique, culturelle et linguistique, très souvent identifiée à une homogénéisation du monde, un nivellement de la culture, une réduction à un même calibré selon les lois du marché, de nombreux espaces se réclamant d’autres valeurs et signes distinctifs ont cherché à se situer différemment, en développant un discours fort, susceptible le cas échéant de créer des unions supranationales2. Le débat sur la diversité culturelle qui a, comme on le sait, abouti à la signature de la « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » en 2005 (unesco), et qui est ouvertement marqué par une volonté de distinction par rapport aux dérives (anti-) culturelles d’un ultralibéralisme nord-américain, participe pleinement d’une telle dynamique.
Le tournant du xxie siècle, marqué par l’ampleur des phénomènes migratoires et les décloisonnements politiques, économiques mais aussi culturels, – et malgré la déconstruction dont le concept d’identité a fait l’objet depuis les années 1980-19903 – a donc paradoxalement été riche d’émergences ou de réactivations de discours identitaires et de concepts relevant d’une volonté de fixation et de réinscription dans des constructions imaginaires cloisonnées. Il n’est jusqu’au discours nationaliste qui n’ait connu un regain spectaculaire, comme en témoignent le débat sur l’identité nationale en France4 ou les voix appelant à constater l’échec du débat sur le multiculturalisme et des politiques d’intégration et réclamant un retour vers des valeurs strictement nationales en Allemagne5. Au-delà des cas extrêmes de la recrudescence d’un nationalisme exhibé et offensif, témoignant d’une évidente volonté de renfermement, nombreuses ont été les initiatives qui, pour être moins caricaturales, n’en témoignent pas moins d’une volonté d’identifier de nouveaux réseaux d’appartenances – voire d’en réactiver d’anciens –, de cerner des affinités et, à l’opposé, de définir des contraires et des oppositions. Dans ce contexte, la réactivation de l’idée de latinité mise au service d’une « contre-colonisation de la mondialisation »6, participe d’une dynamique similaire, et ce même si elle est présentée comme une garantie de la diversité.
En effet, la manifestation la plus spectaculaire, parce qu’assurément la plus médiatisée, de la résurgence contemporaine d’une pensée de la latinité est à mettre au compte du sociologue et essayiste brésilien Cândido Mendes, auteur de très nombreuses publications et interventions et l’un des fondateurs de l’Académie de la latinité en 2000. Parallèlement à l’initiative de la diversité culturelle, fortement soutenue par la Francophonie institutionnelle, les voix de la latinité émanant principalement d’Amérique du Sud, en particulier du Brésil, sont massivement soutenues par de nombreux membres de l’Académie française. Cette initiative constitue un appel fort à une solidarité des pays « de culture latine » pour lutter contre « le déséquilibre introduit au détriment des langues et des cultures latines par la mondialisation des moyens de communication et d’échange, ainsi que les dommages pouvant en résulter pour la transmission des valeurs et des savoirs du monde latin », contre les « risques d’uniformisation culturelle »7. Elle se définit donc en premier lieu, au nom de la diversité culturelle mais pour la défense prioritaire d’une « Mondialatinité » de la civilisation8. On comprend alors aisément que cette entreprise, qui séduit alors de nombreux auteurs en Amérique du Sud et en Europe continentale, prône un élargissement à la Francophonie mondiale.
Pour autant, le concept de latinité et les connotations qu’il a prises dans le contexte français et, de fait, par reproduction ou dérivation, dans le contexte francophone, s’avère, dans la plupart des cas, très problématique et sa reprise dans de telles constructions extrêmement ambiguë.
En effet, avant de connaître une réception très hétérogène en fonction des différentes aires francophones, le concept a été marqué par une pensée nationale française étroite pour ne pas dire étriquée. La réception du concept au sein de l’espace francophone, qu’elle se conçoive comme une adhésion aux accents dominants ou comme une subversion du discours, se développe dans une relation dialogique avec l’intégration discursive du concept en France. Avant d’aborder les différents traitements du concept en fonction des aires culturelles francophones dites « postcoloniales », quelques rappels historiques concernant les connotations données au terme de latinité s’imposent9.

1. Genèse du concept et persistance de l’imprégnation discursive

Le romanisme politique, qui se développe dans le courant du XVIIIe siècle, débouche au xixe siècle sur l’élaboration d’un concept de latinité fortement marqué par une connotation essentialiste10. Cela n’est pas surprenant si l’on considère que ce concept a vu le jour dans le contexte de la construction des discours nationalistes. De fait, la latinité devient alors très vite le moyen d’une délimitation stricte avec les autres « identités » concurrentes ou ressenties comme telles, notamment la germanité et la slavité. Le recours à la latinité ressortit donc au principe de séparation et de différence, qui préside à l’établissement de limites et de frontières claires et, si besoin est, imperméables.
Ainsi, Jules Michelet, dans son Introduction à l’Histoire universelle (1831), construit une image de la France en héritière moderne de la latinité antique : présentée comme « chef de famille »11, assurant l’entente et la cohésion au sein des autres nations latines12, elle aura selon lui pour vocation de « rendr[e] au génie latin quelque chose de la prépondérance matérielle qu’il eut dans l’Antiquité, de la suprématie spirituelle qu’il obtint au Moyen Age »13. La conclusion de Michelet sur la place de la France au sein de la latinité est symptomatique du discours qui se construit alors :

 

« Quiconque veut connaître les destinées du genre humain doit approfondir le génie de l’Italie et de la France. Rome a été le nœud du drame immense dont la France dirige la péripétie. C’est en nous plaçant au sommet du Capitole, que nous embrasserons, du double regard de Janus, et le monde ancien qui s’y termine, et le monde moderne, que notre patrie conduit désormais dans la route mystérieuse de l’avenir. »14

Une telle lecture de l’histoire universelle selon le schéma du drame classique est une façon de construire une image de la France en nouvelle Rome, tout en la présentant dans une dialectique d’héritage et de renouveau du génie latin excluant la composante de la chute de l’Empire.
Comme on peut le constater, le concept prend alors une dimension territoriale et hiérarchique, à laquelle ne tardera pas à s’ajouter une composante raciologique, dont on se doute bien qu’elle ne se laissera pas facilement accommoder avec les poétiques et aspirations francophones, notamment postcoloniales. Citons par exemple les variations poétiques de Frédéric Mistral sur la race latine15, pour lesquelles Charles Maurras, plus tard, ne cachera pas ses sympathies, ou l’inscription d’une topologie de l’Europe dans un schéma racial, tel qu’on le trouve par exemple dans le traité du Capitaine Constant Chatelain intitulé L’Afrique et l’expansion coloniale (1901) :

« Trois grandes races se partagent le sol de l’Europe : la race latine (France, Italie, Espagne, Roumanie), la race germanique (Allemagne, Autriche, Suisse), la race slave (Russie, Bohème, Serbie, Bulgarie, etc.) »16

On pourrait multiplier les exemples. Dès lors, pleinement intégrée au discours nationaliste émergent, la latinité ainsi sémantisée sera ré-instrumentalisée dans la perspective d’un discours de l’ultranationalisme à tendance fascisante dans la période de l’entre-deux guerres. Ce sont les accents que l’on trouve chez Maurras, qui ne cessera d’ancrer la latinité dans une définition restrictive, reliée à la langue, à la race (au sang), au territoire et surtout à la catholicité, qu’il présente comme le « ciment » indispensable en ceci qu’elle réunit les « hauts principes d’ordre, d’autorité, d’administration, intérieure et extérieure, [les] affinités dans la manière de sentir, dans la vie sociale, héritées de l’Antiquité classique »17. Dans un contexte hanté par la crainte de la décadence et du « déclin de l’Occident », et son corollaire, l’angoisse de la montée de forces « menaçantes », Maurras reconnaîtra dans la latinité l’incarnation d’un principe de civilisation susceptible de faire rempart à la « barbarie » environnante.

« La barbarie fait cercle autour de la latinité européenne ; elle menace même, par des voies détournées, la Latinité d’Amérique. Seule une action concertée, une union constante de tous les Latins pourra sauver le monde occidental de ce cataclysme latent ! »18

C’est à partir de cette base étroite qu’il donnera une définition de ce qu’il appelle l’homo mediterraneus, conception à laquelle s’opposeront farouchement de nombreux auteurs se réclamant d’un espace méditerranéen plus vasteme et dans lequel l’ouverture culturelle aurait sa place, tels Gabriel Audisio ou Albert Camus19.
Par ailleurs, dans la poursuite d’une dynamique de fermeture identitaire, la latinité sera inscrite dans la perspective d’une construction française de l’universalité, qui continuera de répondre à une hiérarchisation culturelle. C’est notamment cette pensée de l’universel que l’on trouve chez certains académiciens20, dont les textes et initiatives, malgré leurs protestations de bonne volonté, n’ont généralement pas grand-chose à voir avec une quelconque forme d’ouverture culturelle, mais relèvent bien plutôt d’un attachement anachronique à des valeurs « nationales ». Dans un tel contexte, et lorsqu’on sait la part de l’Académie française à l’entreprise de la latinité lors de sa réactivation entre 1999 et 2001, on peut légitimement se demander si de telles affinités ne risquent pas de faire obstacle à la nécessaire redéfinition du concept dans le sens d’une ouverture vers le multiple et la diversité postulée – au moins à première vue – par les fondateurs.
Ce qui vaut pour la définition continentale de la France au xixe siècle, vaut également, et peut-être plus encore, pour sa représentation hors d’Europe, en particulier en matière de conquête coloniale. La nation qui se voit au centre de l’Europe à la tête des nations latines ne tarde pas à se redéfinir comme la nouvelle Rome, nous l’avons vu, mais aussi dans son entreprise d’expansion mondiale. La conquête coloniale, en laquelle on voit un parallèle avec l’histoire de l’empire romain, va se prêter à la reproduction de ce paradigme discursif : tout d’abord par sa connotation raciologique (dans la lignée de la hiérarchie des races développée à partir de Gobineau et réinterprétée dans les grands ouvrage de théorie coloniale) ; ensuite par l’argument de la mission civilisatrice et l’aspiration à répandre la culture française comme repère universel dans le monde. La lecture du fait colonial, en particulier dans la littérature de vulgarisation, se calquera sur ce paradigme et l’on tendra alors à chercher dans les événements des analogies avec l’histoire de Rome. Cet aspect va profondément marquer le contact discursif des phases coloniale et postcoloniale.

2. Léopold Sédar Senghor et la pensée de la latinité

Pour l’Afrique subsaharienne francophone, le concept de latinité porte essentiellement l’empreinte qui lui a été conférée par Léopold Sédar Senghor et donc par une pensée issue de la Négritude. Si la postérité – si l’on excepte les écrits de quelques spécialistes – a peu retenu la notion d’afro-latinité introduite et développée par la martiniquaise Jane Nardal à partir de 192821, elle a en revanche accordé une place considérable à la pensée senghorienne du métissage culturel, dans toute son ambiguïté.
Senghor est revenu à plusieurs reprises sur la notion de latinité dans les années 1960. Ses motivations sont assurément à chercher dans la fait que se sont présentées un certain nombre d’opportunités : premier président du Sénégal indépendant, il est en effet reçu à Rome, mais aussi au Brésil, deux espaces marqués par une latinité avec laquelle, en sa qualité d’agrégé de lettres classiques, il a toujours entretenu des affinités. Mais le début des années 1960 est aussi, du fait des Indépendances, marqué par l’émergence de nouvelles entités identitaires : les nouveaux États bien sûr, qui doivent envisager leur relation avec l’ancien pays colonisateur, mais aussi la Francophonie, que Senghor soutient d’emblée, et qui doit définir son articulation aux autres espaces.
C’est dans ce contexte complexe, qui appelle de nouvelles définitions et l’établissement de nouvelles solidarités tout en restant par ailleurs fondamentalement marqué par les structures politiques et mentales antérieures, que Senghor est amené à s’exprimer sur la latinité. Dans son « Éloge de la latinité », allocution prononcée le 30 octobre 1962 lors de sa réception au Capitole par le Conseil municipal de Rome, il affirme :

« Sans complexe aucun, nous, Sénégalais, nous, Négro-africains de langue française, proclamons notre participation à cet héritage de Rome, que je résumerai en quelques mots : définition claire des fins humaines, choix lucide des voies et moyens, application rigoureuse des techniques les plus modernes. C’est ainsi que nous venons à vous comme des frères de lait : non plus Ductoresque alii, quos Africa terra triumphis / Dives alit22, mais hommes du XXe siècle, qui voulons employer les valeurs latines à féconder nos terres ‘barbares’ »23

Ces remarques sur la latinité apparaissent soumises au principe de bipolarité si souvent reproché à l’auteur par les critiques et les intellectuels africains. Dans la vision du monde qui la génère, cette remarque rejoint en effet la fameuse assertion senghorienne formulée en 1939 dans « Ce que l’homme noir apporte » et qui a tant fait couler d’encre depuis : « L’émotion est nègre comme la raison est hellène »24. À la base de ces raisonnements figure un schéma binaire, partiellement tiré du discours ethnographique25, ainsi qu’il ressort d’un autre discours de Senghor, datant de 1964 et intitulé « Latinité et Négritude », prononcé à l’occasion de la remise du diplôme de Docteur honoris causa de l’Université de Bahia le 21 septembre 1964. Senghor y présente le Brésil comme une synthèse d’Africanité et de latinité, répartissant là aussi les critères identitaires selon un schéma binaire. Le Brésil serait ainsi le résultat d’une « symbiose » de composantes antithétiques : la latinité, l’africanité et, à un moindre degré, l’indianité26. Comme chez Jane Nardal, Senghor donne une vision assimilationniste d’une identité formée de la juxtaposition de deux (ou trois) composantes, par ailleurs hiérarchisées en fonction de leurs caractéristiques respectives. Il s’agit là d’une constante qui parcourt l’ensemble des textes de Senghor sur la latinité : la raison cartésienne, issue de la composante latine de l’identité (raison discursive), avec son sens de la pensée abstraite et de l’ordre, serait venue enrichir la vitalité, l’émotion, l’instinct, bref la raison intuitive négro-africaine, selon le principe de la greffe. À leur tour, dans le contexte brésilien, ces deux composantes seraient venues se féconder mutuellement et produire ce qu’il appelle le « sauvageon » de l’indianité27.
Tandis que les milieux institutionnels continuent de célébrer inconditionnellement Senghor comme une caution précoce et l’un des hérauts de l’idéal francophone, nombre d’intellectuels africains font de lui la cible de violentes attaques, lui reprochant notamment d’avoir repris les structures du discours français dans un geste de reproduction servile28. Si une analyse sérieuse de l’émergence de la parole senghorienne permet de mettre à jour l’aspect simplificateur – pour ne pas dire parfois simpliste – de certains propos, il n’en reste pas moins que ce qui porte la marque de Senghor fait l’objet d’une déconstruction systématique dans de nombreux écrits plus ou moins polémiques29.
Le fait que la latinité ait été introduite dans le discours « négro-africain » par Léopold Sédar Senghor ne peut donc être qu’un facteur de rejet pour les générations suivantes d’écrivains africains d’expression française. Tout d’abord parce qu’elle est nourrie de pensée essentialiste ; imprégnée du discours ethnographique du début du xxe siècle ; parce que sur ces bases, elle postule une répartition raciale des qualités spécifiques ; parce qu’enfin, elle confirme en partie la thèse civilisationniste de l’entreprise coloniale française en faisant de la rationalité, de la clarté, de la lucidité et de la rigueur des qualités exclusives de l’héritage des civilisations occidentales. Les propos tenus par Senghor pourraient donc être interprétés comme une légitimation du discours de l’entreprise coloniale vue comme une mission civilisatrice. La latinité s’affirme dès lors comme un élément exogène, artificiellement intégré et porteur de tout ce qu’il convient rejeter en situation postcoloniale : la structure discursive de la domination coloniale et la figure du père au sens œdipien du terme.

3. Latinité versus arabité : la fonctionnalisation de la figure de Jugurtha

Pour le Maghreb, la complexité est autre. Comme nous l’avons remarqué, l’entreprise coloniale française s’est régulièrement appliquée à s’auto-styliser comme une entreprise rappelant celle de Rome. Paul Adam, dès le premier chapitre de Notre Carthage, établit des parallèles entre l’Afrique française et les représentations antiques, en particulier celle de Virgile, inscrivant ainsi sa lecture de la colonisation dans ce paradigme de l’héritage romain : parlant d’une « vision de la Méditerranée virgilienne », il affirme : « […] l’illusion d’une continuité parfaite entre nos souvenirs d’histoire latine et les évidences présentes n’a point à se dissiper »30.
L’identification passe donc par la recherche d’analogies, et la sphère nord-africaine, jadis conquise par la Rome impériale, a été particulièrement touchée par ce discours. La récupération de la figure de Jugurtha en est un exemple. Celle-ci est d’emblée marquée par la latinité du discours, puisque cette figure de résistance à l’Empire romain est tirée des descriptions qu’en donne notamment Salluste dans son Bellum Jugurthinum, et réintégrée au discours colonial français. Lorsqu’à la fin du xixe siècle on se penche sur l’histoire récente de la conquête de l’Algérie, l’on interprète alors Abd el-Kader comme le Jugurtha de l’empire français.
Reprenant un système de correspondances très répandu dans la seconde moitié du xixe siècle, Gaston Boissier, dans son récit L’Afrique romaine – Promenades archéologiques en Algérie et en Tunisie, inscrit son propos dans ce paradigme : « L’armée de Jugurtha nous rappelle tout à fait celle d’Abd el-Kader […] et l’armée romaine, comme ses revers et ses succès rappellent l’histoire de notre armée »31. Mais il ne fait ici en somme que reprendre un topos qui se développe à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, c’est-à-dire quasiment avec l’apparition d’Abd el-Kader dans la lutte contre les troupes françaises.
En 1868 déjà, dans Voyage en Algérie : études africaines, M. Poujoulat établissait, dans un long chapitre consacré à Jugurtha « Parallèle de Jugurtha et d’Abd-El-Kader »32, une liste des correspondances et divergences entre les deux personnages. Ce parallèle, totalement intégré à ses réflexions sur la nature et l’avenir de la colonisation française, confirmait selon lui les parallèles avec l’Empire romain, à ce détail près qu’il prouvait la supériorité de la colonisation française sur la conquête romaine. Il y avait à cela plusieurs raisons : l’une d’ordre technique, la vapeur permettant la rapidité : « Avec la vapeur, la France peut en dix ans faire en Afrique ce qui coûtait un siècle à Rome »33 ; l’autre étant l’humanité de la colonisation française : « Notre civilisation est plus généreuse que celle des Romains »34. En somme, pour Poujoulat, la France reprendrait l’héritage de Rome, mais sous une forme sublimée par la chrétienté.
Dernier exemple enfin, symptomatique de l’inscription du parallèle dans la création littéraire, le jeune Rimbaud place précisément cette thématique au centre d’un poème écrit en latin en 1869 et rythmé par ces vers : « Nascitur Arabiis ingens in collibus infans / Et dixit levis aura : ‘Nepos est ille Jugurthae’ »35.
Par la suite, le discours sera reconquis, et Jean Amrouche, dans son texte « L’eternel Jugurtha – Propositions sur le génie africain », fera du personnage l’incarnation de l’esprit nord-africain sur la base d’un paradigme qui n’est au demeurant pas sans rappeler l’opposition essentialiste binaire d’un Senghor :

« On reconnaît d’abord Jugurtha à la chaleur, à la violence de son tempérament. Il embrasse l’idée avec passion ; il lui est difficile de maintenir en lui le calme, la sérénité, l’indifférence, où la raison cartésienne échafaude ses constructions. Il ne connaît la pensée que militante et armée pour ou contre quelqu’un. Il aperçoit l’idée pure comme un éclair au flanc de l’orage. L’imagination aussitôt s’en empare, lui donne une forme et l’exagère en vision. Privé de la chaleur de l’enthousiasme et du ragoût de l’émotion, Jugurtha se désintéresse du lent progrès de la pensée abstraite. Il est poète : il lui faut l’image, le symbole, le mythe »36

Portant en lui les traits du « génie africain », le Jugurtha de Jean Amrouche deviendra rapidement une figure d’identification dans la jeune littérature nord-africaine d’expression française37. Annonciateur de la lutte indépendantiste, il apparaît dans l’essai de Mohammed Cherif Salih, Le message de Yougourtha en 1947, et surtout chez Kateb Yacine dans Le Cadavre encerclé (1954) et dans Nedjma (1956), chez Mouloud Mammeri dans L’Opium et le bâton (1965). Dans ces textes de fiction écrits dans le contexte des Indépendances, les auteurs reprennent le motif de l’analogie entre Jugurtha et Abd el-Kader, mais en en subvertissant le contenu idéologique : il ne s’agit plus de valoriser la colonisation française en la comparant à l’entreprise de Rome, mais au contraire soit de ridiculiser le discours français, soit de se réapproprier le potentiel de résistance du guerrier numide.
Cependant, déclinée sur un mode panafricain puis pan-maghrébin, la construction mythique de la figure de Jugurtha dans le discours indépendantiste va lentement se fragmenter pour devenir point de focalisation d’intérêts de groupes qui auront à cœur d’affirmer leur distance par rapport à une dérive identitaire de plus en plus marquée par l’idéologie de l’arabité. Jugurtha est ainsi accaparé par le discours berbère, par exemple dans la tradition de la chanson, dont l’un des représentants les plus importants, Katoub Lounès, sera assassiné par le G.I.A. Le roman d’Ameziane Kezzar, La Fuite en avant (2001), est lui aussi caractéristique de cette évolution : dans un chapitre intitulé « Le retour d’un ancêtre », le personnage principal, Akli, fait un rêve dans lequel il imagine le retour de Jugurtha qui, du haut d’une colline, contemple et analyse la situation du Constantinois contemporain. C’est alors lui qui trace des parallèles avec la situation d’occupation qu’il a connue et réintroduit certains éléments tirés de l’histoire de la Numidie romaine38. Dans son regard, les traîtres, « les fils de Bocchus » sont les Algériens, les musulmans, agenouillés pour la prière, se comportent comme les anciens esclaves, etc. Avec ce regard porté par Jugurtha sur la désolation de la Kabylie, l’auteur se réapproprie le personnage et le met au service d’un discours de la nostalgie identitaire kabyle. Mais c’est surtout chez Assia Djebar que l’on trouve un important travail sur cette figure. Dans son discours prononcé à l’occasion de la remise du Prix de la paix des Libraires allemands (Friedenspreis des Deutschen Buchhandels, 2000), elle le présente comme le porteur du « non » de la résistance, une résistance qui ne se limite plus alors à une lutte contre l’oppression coloniale. Dans son roman Vaste et la prison (1995) Assia Djebar donne déjà sa pleine dimension au travail littéraire sur la figure de Jugurtha, et charge le personnage de nouvelles significations. Jugurtha n’est plus seulement évoqué comme un héros guerrier, mais initialement dépeint comme un jeune homme timide assistant à l’inauguration d’une stèle à la mémoire de son ancêtre Micipsa à Douga, en 138 av. J.-C. L’évoquant alors dans les diverses étapes de sa vie, la réinterprétation qu’elle en donne se fait au prix de la complexification du personnage, et surtout de la réintroduction d’éléments tirés de l’historiographie latine (destruction de Carthage, rencontre avec Scipion Émilien, statut culturel hybride et ambigu de l’historiographe Polybe), sans passer par le prisme de la récupération coloniale. Ce n’est qu’à cette condition – un retour (même très romancé) à la composante latine de l’histoire de Jugurtha – qu’il peut alors devenir une figure suffisamment nuancée pour intégrer la complexité de l’identité algérienne, berbère et féminine39.
La réintégration de la dimension latine de la représentation marque alors une réinterprétation du potentiel résistant de Jugurtha. Certes, Jugurtha reste un héros de libération qui s’oppose à la colonisation, mais il est surtout réinvesti par des caractéristiques qui font de lui un résistant contre les dérives de l’ « arabité » (oppression de la Kabylie par l’État algérien, oppression de la femme par l’homme, etc.)40.
C’est précisément par rapport à des durcissements identitaires similaires que Jean Genet, dans les années 1970 et à propos de la question palestinienne, formule à plusieurs reprises son malaise par rapport à l’utilisation de tels concepts. Ainsi peut-on lire, dans ses notes réunies dans le volume intitulé L’ennemi déclaré :

« Reprenons la question : qu’est-ce que la l’arabité ? Le mot est-il l’équivalent de la latinité en Europe et en Amérique du Sud ? Capté de l’extérieur, le mot n’est pas vécu, donc pas compris. Il voudrait faire état d’une unité vécue, sans se soucier qu’il risque d’établir la différence. Il y a peut-être une judéité vécue qui s’est comme cristallisée en terre d’Islam. Arabité, latinité, judéité sont des mots qui recouvrent quoi ? Ainsi un homme comme Abou Omar, qui est arabe palestinien, croit-il relever de l’arabité (il parle arabe, il est né en Palestine) ou de la latinité (il est chrétien) ?41 »

En somme, dans le contexte nord-africain comme dans le contexte proche-oriental, il y a glissement de nouveau dans un schème d’opposition, mais cette fois-ci entre une latinité instrumentalisée (d’autant plus facilement que l’histoire de Jugurtha s’y prête) et un discours de l’arabité de plus en plus radical. En somme, Jugurtha vaut alors moins comme incarnation de la résistance contre la France que comme figure berbère issue de l’historiographie latine opposée à l’arabité. Dans cette sphère géographique et culturelle aussi, l’élément latin cristallise des enjeux idéologiques et identitaires qui le dépassent.
Il sera donc, là aussi, difficile de développer une idée consensuelle de la latinité, suffisamment ouverte pour accueillir les diversités et en faire un dénominateur culturel commun dans un espace mondialisé-ouvert et générateur de poétiques en opposition à un espace mondialisé-clos et stérile souvent incarné dans l’imaginaire par l’américanisation du monde.

4. Édouard Glissant : une latinité entre racine et relation

S’il est une sphère qui s’est préoccupée par le passé de la dialectique clôture / ouverture tant au niveau poétique qu’au niveau théorique, c’est assurément la sphère antillaise. Rappelons ici bien sûr les auteurs de la créolité, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant qui, dans leur Éloge de la Créolité (1989)42 en appelaient à une diversalité opposée à la clôture du discours de l’Universalité.
L’auteur qui cependant apporte la réflexion la plus enrichissante sur la notion de latinité est à l’évidence Édouard Glissant. Tout d’abord parce que ses écrits, fondamentalement marqués par la pensée philosophique et une évolution en nuance se décline de façon moins radicale et schématique que celle des auteurs de la créolité. Ensuite parce que Glissant, lui-même membre de l’Académie de la latinité, a dû se pencher sur ce concept et ses aléas dans le contexte caribéen.
Si son œuvre précoce, placée sous le signe de l’Antillanité pouvait laisser place à la spéculation sur la volonté d’une construction identitaire fixe, qui se serait définie dans un mouvement d’opposition binaire, l’auteur martiniquais a placé son œuvre, depuis plusieurs décennies, sous le signe du principe de la « relation ». Sa Poétique de la Relation (1990) est marquée par l’aspiration à une identité rhizomique ouverte et non à la reproduction d’une « identité-racine »43 importée par le discours français entre autres, et non adaptée au contexte caribéen. Or la latinité, telle que la Francophonie en a hérité par la construction discursive française, est un concept fortement marqué par les caractéristiques de la pensée de l’« identité- racine » telle que décrite par Glissant. D’un côté, cette dimension n’est donc pas sans susciter quelque méfiance, pour ne pas dire défiance, chez l’auteur. Mais telle qu’elle est présentée au tournant du millénaire par l’initiative de l’Académie de la Latinité, elle rejoint néanmoins, au moins dans un domaine, les préoccupations glissantiennes, à savoir ses interrogations sur les articulations désormais mondiales des cultures et les dangers représentés par les tendances homogénéisantes et paradoxalement clôturantes des dérives d’une mondialisation placée sous le sceau du capitalisme.
En 1997, Edouard Glissant place ces réflexions sur l’ambivalence de la « mondialité » au centre de son Traité du Tout-Monde :

« […] c’est le monde comme totalité, et non pas une partie exclusive du monde, élue ou privilégiée, qui nous transporte. […] Nous découvrons que l’endroit où nous vivons, d’où nous parlons, nous ne pouvons plus le distraire de cette masse d’énergie qui au loin nous sollicite. Nous ne pouvons plus en saisir le mouvement, les infinies variances, les souffrances et les plaisirs, si nous ne l’accorons pas à cela qui bouge si totalement pour nous, dans la totalité monde. La « partie exclusive » que serait notre lieu, nous ne saurions en exprimer l’exclusivité si nous la tournons en exclusion. Nous concevrions alors une totalité qui réellement toucherait au totalitaire. Mais au lieu de cela, nous établissons Relation »44.

Comme on le voit, Glissant maintient son attachement au principe de la « relation », tente de proposer un modèle alternatif, irrigué par ce principe et surtout protégé d’éventuelles dérives identitaires. Il est en effet conscient des paradoxes et des dangers qui risquent de dénaturer y compris les initiatives les plus louables en les poussant dans leurs derniers retranchements, de transformer la résistance à l’homogénéisation et à la stérilisation en d’autres formes d’enfermement : « Quelques peuples résistent. Oui, avec difficulté. La nécessaire opposition en effet peut engendrer parfois un enfermement et, par une ironie terrible, ratifier la menace implicite décrétée par le capitalisme »45.
Comment donc rendre la latinité fréquentable dans un tel contexte ? Comment, dès lors, concilier de telles imprégnations discursives antagonistes ? C’est précisément cette contradiction potentielle qu’Édouard Glissant tente de réduire dans un texte publié en 2003 dans les Cahiers des Amériques Latines. Pour ouvrir le concept de latinité, et surtout l’ouvrir au contexte caribéen et sud-américain dans une perspective de décentrement, dans un dialogue se faisant cette fois non pas avec le centre, mais de façon transversale, décentrée, en dialogue avec la sphère latino-américaine, Glissant se voit contraint de faire un détour par la notion de baroque comme il ressort exemplairement de cet extrait :

« Un point de cette latinité américaine, apparemment secondaire, me paraît suffisamment décisif pour être souligné ici : celui de son évidence baroque. Le Baroque a été une réaction à la réforme ; et le baroque américain s’oppose au puritanisme nord-américain. On observe en effet une prolifération des modes de pensée et des ordres de représentation, qui outrepassent les frontières d’un dogme, par essence porteur d’une uniformisation paralysante et totalitaire. L’Amérique latine, la Caraïbe, et le Brésil, sont ainsi des conservatoires, des microclimats spirituels et religieux, où les anciens dieux retrouvés de l’Afrique et les anciens dieux engendrés d’Amérique entrent en connivence avec le dieu des religions méditerranéennes. On a le plus souvent tenté de démoniser ces lieux de rencontre et ces essais de reculturation. Pourtant, il faut nous souvenir que la latinité européenne, qui a parfait la vision d’un dieu un et jaloux, fut aussi possédée obscurément d’un polythéisme originel, lequel a subsisté jusque dans les récits du Graal. Il faut dire que les fêtes saturnales de Rome n’étaient pas loin de préfigurer les carnavals des Amériques du Sud actuelles. Dans la Caraïbe, le Brésil et l’Amérique latine, il s’opère donc une poussée baroque qui m’apparaît civilisationnellement importante, en ce qu’elle vient contre-balancer la poussée puritaine du Nord. Il y a là une force panthéiste, une force de créolisation. Car les habitants des Amériques vivent la multiplicité des identités-relations, que nous opposons désormais aux identités à racines fixes. Ils partagent leur paysages de créolisation »46.

Comme on le voit, ce texte s’organise selon deux axes principaux correspondant à deux nécessités argumentatives partiellement antagonistes : il s’agit tout d’abord de poursuivre la construction discursive d’une latinité conçue comme une contre-mondialisation et donc porteuse de valeurs différentes de celles du monde anglo-saxon ; il s’agit ensuite d’échapper à la sémantisation clôturante du concept de latinité, dont nous avons vu qu’elle était particulièrement importante du fait de l’influence de l’héritage discursif français. Les actualisations auxquelles Glissant procède dans sa lecture de la latinité sont très révélatrices de cette volonté de double démarcation : en focalisant sa pensée sur le polythéisme originel opposé à un dieu jaloux, sur les fêtes saturnales remettant en cause la notion d’ordre, il définit une latinité qui se présente comme une antithèse au puritanisme mondialisé et mondialisant, mais aussi au principe d’ordre suractualisé par les lectures nationalistes (entre autres chez Maurras). Glissant s’applique donc ici à réinscrire la pensée de la latinité dans une dimension rhizomique alors que l’héritage discursif l’avait reliée à la pensée de la racine. Néanmoins, ce détour par le baroque, qui a pour but de rompre les déterminismes identitaires, porte la marque de la même ambiguïté puisqu’il inscrit un schéma binaire d’opposition identitaires sur la base de catégories religieuses (qui ont par le passé contribué à radicaliser, à sémantiser le concept dans la direction d’une restriction, d’une clôture), entre héritage de la catholicité réinterprétée et imprégnation par le puritanisme anglican, entre ordre et désordre, etc. En cela, l’actualisation des fêtes saturnales plutôt que de la clarté et de l’ordre latins, est particulièrement révélatrice, parce qu’elle porte en elle toute les contradictions imprimées au sémantisme de la latinité.

Les exemples ici présentés n’ont assurément pas pour ambition de couvrir l’ensemble de la problématique et la complexité du discours de la latinité en contexte francophone. On peut néanmoins constater un certain nombre d’écueils qui resurgissent systématiquement lorsqu’il s’agit d’inscrire ce principe dans des définitions culturelles des aires jadis marquées par la colonisation : la latinité est – c’est une évidence – un élément exogène ; son intégration culturelle a fondamentalement varié d’une sphère à l’autre, mais aussi d’une génération à l’autre : le contexte discursif et culturel de la négritude senghorienne est difficilement comparable à celui de la créolisation glissantienne ; le poids du discours français à partir duquel il a été importé et retravaillé est trop fortement marqué par sa dimension essentialiste et clôturante pour en permettre une intégration apaisée ou non problématique. Finalement, n’étant assimilé qu’au prix de constructions artificielles et de torsions discursives, il devient le faire-valoir d’enjeux idéologiques ou identitaires qui se laissent difficilement accorder avec les postulats d’ouverture, eux-mêmes très ambigus, des initiatives contemporaines. En somme, au terme de ce vaste tour d’horizon, le concept de latinité, pour devenir acceptable, doit faire l’objet d’une adaptation allant dans le sens de l’ouverture, c’est-à-dire être perçu non comme un plus grand mais comme un plus petit dénominateur commun et, en cela, partiellement évidé de sa signification. Mais alors le fait de le rendre acceptable pour la Francophonie extra-européenne, notamment postcoloniale, qui est elle aussi une construction exogène et artificielle, revient à le rendre inopérant pour la définition d’une communauté.

 

1 Habermas Jürgen, Die postnationale Konstellation, Francfort / Main, Suhrkamp Verlag, 1998.

2 Cette tendance se poursuit de nos jours, même si les espaces identifiés comme potentiellement dominants c’est-à-dire menaçants sont les pays émergents d’Asie, notamment la Chine mais aussi la Corée du Sud.

3 On songe bien évidemment ici, dans le contexte anglo-saxon, à la contribution de Benedict Anderson ; dans le contexte français entre autres aux travaux de Jean-François Bayart, mais aussi, plus récemment, de Anne-marie Thiesse.

4 On notera par exemple les accents barrésiens très identifiables du discours de clôture de François Fillon au colloque de l’Institut Montaigne le 4 décembre 2009, consultable à l’adresse : http://www.premier-ministre.gouv.fr/gouvernement/discours-de-cloture-de-francois-fillon-au-colloque-de-l-institut-montaigne (2010).

5 Voir notamment la polémique déclenchée autour des déclarations de Thilo Sarrazin et de son essai : Sarrazin Thilo, Deutschland schafft sich ab – Wie wir unser Land aufs Spiel setzen, Munich, Deutsche Verlags-Anstalt 2010.

6 Cf. Mendes Cândido, « La latinité peut-elle inspirer une contre-colonisation de la mondialisation ? » in Vox Latina Info n°42, 20.12.2001, http://www.voxlatina.com/vox_dsp2.php3?art=1271 (26.12.2009).

7 Voir les statuts de l’Académie de la latinité : http://www.alati.com.br/fra/quem_somos_estatuto.html.

8 http://www.alati.com.br/fra/quem_somos.html.

9 Sur le rôle fondateur du discours français dans la construction discursive de l’Amérique dite latine, cf. Ibold Frank, « Die Erfindung Lateinamerikas : Die Idee der Latinité im Frankreich des 19. Jahrhunderts und ihre Auswirkungen auf die Eigenwahrnehmung des südlichen Amerika » in König Hans-Joachim, Rinke Stefan (eds), Transatlantische Perzeptionen: Lateinamerika – USA – Europa in Geschichte und Gegenwart, Stuttgart, Verlag Hans Dieter Heinz, 1998, p. 77-98.

10 Sur la genèse et le développement du romanisme politique, cf. Panick Käthe, La race latine – Politischer Romanismus im Frankreich des 19. Jahrhunderts, Bonn, Ludwig Röhrscheid Verlag, 1978.

11 Michelet Jules, Introduction à l’Histoire universelle, La Haye, G. Vervloet, 1835 (1831), p. 76.

12 « Son intime union sera, n’en doutons point, avec les peuples de langues latines, avec l’Italie et l’Espagne, ces deux îles qui ne peuvent s’entendre avec le monde moderne que par l’intermédiaire de la France […] » (Ibid., p. 76 sq.)

13 Ibid., p. 77.

14 Ibid., p. 78.

15 Voir notamment son ode « A la raço latino » (1878) in Mistral Frédéric, Lis Isclo d’Or II in Œuvres poétiques complètes, Vol. 2, Barcelone, Berenguié, 1966, p. 36-41. Appelée à se relever et à reprendre la place dominante qui, selon le poète, lui échoit (« Abouro-te, raço latino / Souto la capo dóu soulèu ! / Lou rasin brun boui dins la tino, / Lou vin de Diéu gisclara lèu »), la race latine, unie par la langue, y est présentée comme « lumineuse », « apostolique », indomptable, génératrice de force et de beauté, ayant irrigué le monde de son sang, porteuse de la fécondité universelle et placée sous le triple signe du soleil, de la vigne et de la Croix. Pour Mistral, à l’évidence, la race latine est l’incarnation d’une cosmogonie chrétienne, unissant le ciel (soleil) et la terre (vigne) sous le signe et au service de la bénédiction divine, et donc en cela douée d’une vocation missionnaire.

16 Chatelain, Constant (Capitaine), L’Afrique et l’expansion coloniale, Paris, Charles Lavauzelle Éditeur, 1901.

17 Maurras Charles, « Latinité » in Latinité – Revue des Pays d’Occident, n°9, novembre 1929, p.137-141, ici p. 137 sq. Les accents qui irriguent ce texte daté de 1925, déjà omniprésents dans sa préface à l’ouvrage de Marius André La fin de l’empire espagnol d’Amérique intitulée « Les forces latines » (1922), seront par la suite repris jusque dans le Soliloque du prisonnier, texte tardif qu’il rédigera pendant ses années de détention (1944-1952). Ces textes sont reproduits dans Maurras Charles, Soliloque du prisonnier, Paris, L’Herne, 2010.

18 Ibid., p. 141.

19 À ce sujet, cf. Bromberger Christian. « Aux trois sources de l’ethnologie du monde méditerranéen dans la tradition française » in Albera Dionigi, Blok Anton, Bromberger Christian, Anthropology of the Mediterranean – Anthropologie de la Méditerranée, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 65-83. Sur le rapport complexe entre latinité et identité méditerranéenne, cf. également Arend Elisabeth. « mare nostrum ? – Das Mittelmeer in der Diskussion um kulturelle und literarische Grenzziehungen », in : Turk Horst, Schultze Brigitte, Simanowski Roberto (Eds), Kulturelle Grenzziehungen im Spiegel der Literaturen. Nationalismus, Regionalismus, Fundamentalismus, Göttingen, Wallstein Verlag, 1998.

20 Les membres fondateurs français de l’Académie de la Latinité en 2000 étaient dans leur très grande majorité des membres de l’Académie française : Maurice Druon, Hélène Carrère d’Encausse, Marc Fumaroli, Hector Bianciotti. Voir entre autres l’historique et les statuts de l’Académie de la latinité : http://www.alati.com.br/fra/quem_somos.html.

21 Cf. Nardal Jane, « L’internationalisme noir » in La Dépêche Africaine, n°1, février 1928.

22 Citation de l’Enéide de Virgile : « chefs que nourrit la terre d’Afrique, riche en triomphes » (Chant IV, 37-38).

23 Senghor Léopold Sédar, Liberté 1 – Négritude et humanisme. Paris : Editions du Seuil, 1964, p. 354-357, ici p. 356.

24 Texte reproduit dans Senghor Léopold Sédar, Liberté I – Négritude et humanisme. Paris : Editions du Seuil, 1964, p. 22-38, ici p. 24.

25 À de nombreuses reprises, Senghor se réfère à l’ethnologue allemand Leo Frobenius, y compris dans son discours prononcé à l’Université de Bahia le 21 septembre 1964. Cf. Senghor Léopold Sédar, « Latinité et Négritude » in Liberté III – Négritude et Civilisation de l’Universel, Paris, Éditions du Seuil, 1977, p. 38.

26 Cf. également Senghor Léopold Sédar, « Le Brésil dans l’Amérique latine » (1964) in Liberté III – Négritude et civilisation de l’Universel, Paris, Editions du Seuil, 1977, p. 27-30.

27 Voir notamment le développement systématique de ces schèmes dans « Latinité et Négritude », op. cit.

28 Cf. par exemple Béti Mongo et Tobner Odile, Dictionnaire de la Négritude, Paris, L’Harmattan, 1989 ; Adotevi Stanislas Spero, Négritude et négrologues, Paris, Union Générale d’Éditions, 1972 ; Towa Marcien, Léopold Sédar Senghor : Négritude ou servitude ? Yaoundé, Editions CLE, 1971 ; parallèlement, on constate l’intégration ironique récurrente de cette mention senghorienne dans nombre d’œuvres de fiction : citons ici les romans du Malien Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence (1968) ; du Congolais Emmanuel B. Dongala, Les petits enfants naissent aussi des étoiles (1998) ; et le film Le Grand Blanc de Lambaréné (1995) du réalisateur camerounais Bassek ba Kobhio, pour ne citer que quelques exemples.

29 Pour une étude plus détaillée de la problématique liée à la réception de Léopold Sédar Senghor par les critiques africains, cf. Porra Véronique, « Le Nègre fondamental – Léopold Sédar Senghor sous les feux croisés de la critique africaine » in Neue Romania, 23, 2000, p. 91-108.

30 Adam Paul, Notre Carthage, Paris, Eugène Fasquelle , 1922, p. 11. Pour une analyse plus poussée de ce texte, cf. Riesz János, Koloniale Mythen – Afrikanische Antworten, Francfort / Main, IKO-Verlag, 1993, p. 92-94.

31 Boissier Gaston. L’Afrique romaine. Promenades archéologiques en Algérie et en Tunisie. Paris : Librairie Hachette, 1912 (5e éd., 11895), p. 23.

32 Poujoulat M., Voyage en Algérie : études africaines, Paris, Librairie d’éducation, 1868.

33 Ibid., p. 286.

34 Ibid., p.285.

35 Rimbaud Arthur, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1972, p. 184. Il s’agit là d’un poème écrit par le jeune Rimbaud lors d’une composition latine (classe de seconde) portant sur le sujet : « Jugurtha ».

36 Amrouche Jean. « L’éternel Jugurtha – Propositions sur le génie africain » in L’Arche 2, 1946, p. 59.

37 Une récupération similaire est observable dans le domaine politique. Ainsi Habib Bourguiba, devenu président de la Tunisie indépendante, se présentera-t-il de façon récurrente comme un Jugurtha ayant réussi.

38 Kezzar Ameziane, La fuite en avant, Paris/Méditerranée, Editions Berbères, 2001.

39 Djebar Assia, Vaste est la prison, Paris, Albin Michel, 1995.

40 Sur la construction de la figure de Jugurtha comme mythe politique et son évolution dans la littérature maghrébine d’expression française, voir Porra Véronique, « Jugurtha in der französischsprachigen Literatur des Maghrebs. Von der Konstitution zur Fragmentierung eines politischen Mythos » in Tepe Peter (ed.), Mythos No. 2, Politische Mythen, Würzburg, Königshausen & Neumann, p. 145-163.

41 Genet Jean, L’Ennemi déclaré – Textes et entretiens in Œuvres complètes, Vol VI, Paris : Gallimard, 1991, p. 179. Intitulées « Près d’Ajloun », ces notes sont datées d’octobre 1970-avril 1971. Cf. également Genet Jean, Un Captif amoureux, Paris, Gallimard, 1986, p. 500 : Retraçant ses souvenirs de cette période « palestinienne » de sa biographie, Genet relate une discussion dans laquelle il objecte : « Mais quand vous me parlez d’arabité, je vous réponds par quoi ? Latinité, francité ? Et Israël judéité ? ».

42 Bernabé Jean, Chamoiseau Patrick, Confiant Raphaël, Éloge de la Créolité, Paris : Gallimard, 1989.

43 Cf. Glissant Édouard, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990, p. 157 sq.

44 Glissant Édouard, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 119 sq.

45 Ibid. p. 206.

46 Glissant Édouard, « La latinité des Amériques » in Cahiers des Amériques Latines, n°42, p.11.



___________________________________________________

- Auteur : Véronique Porra (Johannes Gutenberg-Universität Mainz)
- Titre : Latinité désirée, latinité rejetée
Sur quelques ambiguïtés d’un concept en contexte francophone
- Date de publication : 14-09-2011
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=75
- ISSN 2105-2816