Thomas Barège
Université d’Orléans
extrait_153
Si je proposais de raconter l’histoire d’un homme qui n’a presque jamais quitté sa ville natale, mais qui par ses lectures boulimiques a voyagé, comme il aime à le dire lui-même, par le monde entier sans quitter son fauteuil, dont la vie s’ordonnait tellement autour des livres qu’il ne sortait presque plus de chez lui (il finira d’ailleurs obèse), si ce n’est pour se rendre à la bibliothèque tout près ou dans les librairies du quartier où il avait ses habitudes, on croirait que j’invente une figure de lettré parfait. Et pourtant, cet homme-là a bien existé, il fut cubain, de La Havane, et s’appelait José Lezama Lima et fut, à n’en pas douter, lettré avant d’être écrivain, je serai presque tenté de dire lettré avant d’être homme.
Parler de Lezama Lima à travers l’image du lettré semble presque aller de soi. En effet, en lisant la définition donnée par la première page de Vie du lettré : « Qu’est-ce qu’un lettré ? Quelqu’un dont l’existence physique et intellectuelle s’ordonne autour des textes et des livres : vivant parmi eux, vivant d’eux, employant sa propre vie à les faire vivre, et, en particulier, à les lire. »1 – ce à quoi j’ajouterais volontiers, « à les faire lire » – on a l’impression de dresser un portrait de Lezama. Toutefois il serait extrêmement dommageable d’en rester à la biographie quand l’œuvre est infiniment plus riche. J’en passerai par la biographie uniquement pour permettre de situer un peu cet auteur injustement méconnu des Français.
Lezama Lima, c’est une vie entière articulée autour des livres, une vie de directeur de revue, d’essayiste, de romancier, mais avant tout de poète. Pour ma part, je parlerai aujourd’hui surtout du romancier car son œuvre romanesque prête davantage à s’interroger sur la figure du lettré. Ses essais abordent aussi la question, mais plus en retrait. Ce que je viens de dire pourrait laisser penser que l’on a affaire à trois œuvres somme toute, assez distinctes. Il existe en réalité une cohérence à l’ensemble de l’œuvre de Lezama qui transcende totalement les frontières génériques. La manière d’écrire est toujours la même, la poésie contamine l’essai et le roman, l’essai est contaminé par l’autobiographie mais il s’empare du roman, et je pourrais continuer ainsi encore longtemps. L’œuvre romanesque de Lezama se compose d’un imposant roman de plusieurs centaines de pages intitulé Paradiso2, en hommage au père de la littérature italienne et qui met en scène des personnages de lettrés, disons-le tout de suite. Ce roman a une « suite » (suite, mais pas au sens chronologique strict) inachevée (reprenant les mêmes personnages) qui aurait pu – aurait dû – s’appeler Inferno3, mais qui, par une sorte de malentendu éditorial, est maintenant connue et publiée sous le titre d’Oppiano Licario, nom du personnage éponyme de ce second roman. Lezama fut romancier sur le tard4, ce qui explique que son œuvre romanesque ne se compose que de deux titres. Je parlerai surtout de Paradiso. On l’aura compris, un lettré écrivant un roman sur des lettrés – qui eux-mêmes écrivent : l’interrogation suscitée par la figure du lettré chez Lezama se situe clairement du côté du vertige baroque de la mise en abyme. Mais au-delà du simple vertige, si l’œuvre de Lezama est constamment préoccupée par les lettrés, elle l’est tout autant par le savoir et la culture dont ils sont les gardiens, les dépositaires et les passeurs. Le lettré est quelqu’un qui consigne par écrits ses lectures, au fond, le lettré est un écrivain de la lecture.
Je proposerais un parcours en trois étapes au cœur de l’œuvre romanesque de Lezama (chiffre qui sera le fil rouge de cette étude), pour explorer la relation entre le savoir et son gardien. Tout d’abord, je chercherai à isoler les 3 faces du lettré. Nous verrons ensuite que Lezama accorde une certaine importance aux chiffres, ce sera l’occasion d’analyser les liens entre des chiffres et des lettrés, et nous terminerons sur la question du savoir plus particulièrement.
Les trois faces du lettré
Je commencerai par faire une présentation d’ensemble des deux romans de Lezama qui sont, disons-le ouvertement, d’une lecture ardue.5 Ils brassent, dans une écriture unique par sa richesse, un bagage culturel extrêmement foisonnant et des plus variés. Le lecteur peut avoir une sensation plus ou moins désagréable d’être laissé de côté ou bien dépassé par cette érudition. Paradiso est assurément un roman de lettré, et cela, de triple manière : il a été écrit par un lettré, sur des lettrés, et vraisemblablement, pour des lettrés. L’œuvre de Lezama instaure en réalité une sorte de relation entre lettrés : l’auteur, le personnage et le lecteur. Ce sont là les trois faces du lettré dont je parlais.
L’auteur6
Qui fut José Lezama Lima ? Un Cubain né en 1910, fils de militaire assez tôt décédé, il a été élevé par un groupe de femmes. Cette mort marque l’enfant qui est aussi un lecteur surdoué et précoce : il lit Don Quichotte à neuf ans, Proust à treize. Il suit des études de droit et de lettres à La Havane interrompues par la fermeture des universités due à la dictature de Gerardo Machado. Le 30 septembre 1930, il a participé d’ailleurs à la révolte étudiante contre Machado. Profondément catholique, il a toutefois quelques désaccords avec la théologie, refusant par exemple de croire à l’existence de l’Enfer. Son catholicisme personnel se nourrit de nombreuses lectures des premiers penseurs du christianisme. Pour diverses raisons, il ne quitta presque pas son île natale. Il meurt prématurément en 1976 à cause d’une hygiène de vie et d’une santé assez mauvaises.
S’il fut avant toute chose un poète, Lezama a laissé de très nombreux essais qui montrent son intérêt pour toutes les cultures du monde. Parmi ces essais on note un certain nombre d’essais assez courts écrits sur d’autres livres, que l’on peut apparenter à des compte-rendu critiques. C’est probablement là, la trace la plus évidente de son activité de lettré.
Lezama a eu incontestablement, à Cuba, mais plus largement pour toute l’Amérique hispanophone, un rôle de passeur. Il fut le fondateur de quatre revues successives (qui vont à chaque fois disparaître très vite pour des problèmes financiers). Il fonde sa première revue en 1937 : Verbum (le Verbe en latin) conte seulement 3 numéros mais elle marque le début d’une longue activité de médiation des cultures étrangères à Cuba. La seconde revue, Espuela de plata (Epaule d’argent), ne dure guère plus longtemps, 7 numéros de 1939 à 1941. Lezama n’attend pas longtemps pour lancer la troisième, en 1942, Nadie parecía (Personne ne paraissait), qui publiera 10 numéros avant de disparaître en 1944. La quatrième sera la bonne puisqu’il s’agit de la grande revue Orígenes (qui peut se traduire en français par Origines mais il s’agit aussi du nom en espagnol du philosophe grec Origène). Durant près de dix (1945-1956) et 40 numéros, cette revue a été la principale revue culturelle cubaine. Elle reste d’ailleurs la plus importante revue culturelle de Cuba, et l’une des plus importantes d’Amérique latine en ce qui concerne la diffusion de la culture européenne du XXe s. avec Contemporáneos au Mexique et Sur en Argentine. Les quatre revues animées par Lezama ont en commun une volonté de mêler littérature, poésie, beaux-arts, philosophie, critique et essais ; littérature cubaine et textes étrangers traduits. Lezama ne fut pas que le directeur de publication de ses revues : elles furent l’antichambre de la publication de ses œuvres personnelles. Plusieurs chapitres de Paradiso, certains de ses essais et poèmes furent d’abord publiés dans l’une de ces quatre revues. Au sein de ses revues, parmi des traductions inédites de T.S. Eliot, de Joyce, de Valéry ou d’autres encore, Lezama fit lui- même également œuvre de traducteur : quelques petits textes isolés et surtout l’intégralité de Pluies de Saint-John Perse7.
Lezama Lima fait véritablement œuvre de passeur dans ses revues et plus largement auprès des gens qu’il fréquente. Il y avait tout autour de lui, une fois que sa notoriété fut bien assise à Cuba et dans le monde hispano-américain, une quantité d’écrivains débutants8 qui sollicitaient les conseils du maître. Il leur propose alors ce qu’il nomme le « curso délfico »9. « Cours delphique » pourrait-on essayer de traduire en français, delphique étant tout à la fois une référence au Cursus ad usum delphini (qui servait à l’institution du Dauphin, futur successeur de Louis XIV) et à l’oracle de Delphes. Si dans le Cursus ad usum delphini, les textes étaient expurgés de tout passage « inconvenant », Lezama n’a pas du tout la même démarche, au contraire. Ce « curso » consiste en une série de textes littéraires de la littérature mondiale que les jeunes auteurs doivent lire pour les aider à construire leur propre culture et écriture. Il leur prêtait parfois ses éditions personnelles qui comportaient des annotations de sa main : en quelque sorte, le « curso délfico » est une collection de classiques choisis et commentés par Lezama. La liste en est assez longue et variée – nous ne pourrons pas la dresser en totalité ici – et comporte des textes de toutes cultures et époques : Proust, Plutarque, Thomas Mann, Dostoïevski ou Cervantes y figurent en bonne position. De manière générale tous les grands « classiques » y figurent, mais on remarque également la présence de textes dont la réputation est moins assisse à l’époque et à Cuba, comme le Tao Tö King. Cette démarche est évidemment celle d’un lettré, de quelqu’un qui fait vivre les textes, en les lisant, les commentant et en les transmettant à d’autres lecteurs.
Les personnages
Lezama a transmis sa passion des livres aux jeunes auteurs qui venaient lui rendre visite, mais aussi à ses personnages de roman (je ne traiterai désormais que des deux romans de Lezama avec quelques incursions dans le reste de l’œuvre). En effet, l’histoire de José Cemí, le héros de Paradiso, toute sa jeunesse se construisent autour d’une quête du savoir. Elle passe nécessairement par l’expérience poétique, la conversation, la contemplation et bien entendu, la lecture. Le roman opère de fréquentes analepses pour raconter l’histoire de la famille, celle du père notamment, dont le décès va provoquer la rencontre entre José Cemí et un personnage mystérieux, Oppiano Licario, dont second roman portera le nom. Dans quête du savoir, José Cemí sera accompagné par deux amis, Ricardo Fronesis et Eugenio Foción avec lesquels il a de fréquentes discussions intellectuelles concernant les arts, la théologie, la littérature, etc… Paradiso s’achève sur la mort d’Oppiano Licario qui en quelque sorte passe le relai à son héritier spirituel, José Cemí. Le roman est aussi un hymne à La Havane et à la cubanité et tout roman de l’amitié qu’il est, il n’oublie pas l’érotisme. La matière narrative du livre est très autobiographique : la vie de José Cemí est clairement une transposition de la vie de Lezama lui-même. Les personnages de Paradiso et d’Oppiano Licario sont à peu près tous des lettrés, et ce quelque soit leur condition sociale. Pas question pour Lezama d’imiter une langue populaire par souci de réalisme. Le cuisinier Juan Izquierdo se livre habituellement à des « monologues shakespeariens »10. Les débats entre les trois amis commencent véritablement au chapitre 9, alors qu’ils sont adolescents,
et leur première discussion porte sur Don Quichotte puis sur la littérature dans son ensemble. Elle est introduite d’une manière qui est intéressante en soi : constatant que ses cours sont insatisfaisants José Cemí trouve plus utile – plus « rentable » intellectuellement – de discuter avec Ricardo Fronesis et Eugenio Foción. Le schéma habituel de la transmission scolaire, universitaire du savoir est ici remis en question. Les lettrés de Lezama sont plutôt autodidactes, tout comme Lezama d’ailleurs. La principale caractéristique de ces conversations est de « bâtir des ponts » (j’emprunte cette expression concernant les comparatistes aux Lettrines de Gracq11) entre différentes cultures : ponts qui sont souvent étonnants. D’emblée le personnage de Don Quichotte est présenté comme un nouveau Simbad12. Les analyses se font toujours sur le mode du lien. Le savoir se construit ici par méthode du dialogue13 (dialogue double, puisqu’il est à la fois manière dont on partage le savoir et la manière dont on procède à son élaboration, puisque l’on instaure un dialogue entre différentes œuvres). On peut dire que Lezama fut comparatiste avant l’heure à Cuba, à une époque où la critique et la culture cubaine était souvent trop occupée à se construire en autonomie par rapport à l’ancienne culture coloniale espagnole pour penser en termes de comparatisme. Lezama n’a d’ailleurs jamais rejeté la culture espagnole, bien au contraire, il fut un héritier direct des cultures europénnes : en témoignent son admiration pour Góngora, Ortega y Gasset et sa durable amitié pour María Zambrano et Juan Ramón Jiménez.
Ses personnages sont aussi des lettrés dans la mesure où ils pensent leur vie quotidienne en termes littéraires (encore une fois, comme le faisait Lezama Lima lui-même). Je ne reprendrais qu’un seul exemple précis : « Vio Cemí la sucesión pedregosa de la fortaleza y de inmediato pensó lo que harían Kafka y Cocteau con aquellos laberintos defensivos. »14 Notons au passage un trait caractéristique du style de Lezama : ce syntagme nominal « sucesión pedregosa » constitué d’un substantif abstrait et d’un adjectif concret pour désigner un élément concret du monde réel. Cela est assez symptomatique d’une pensée « culturelle » du réel, de la culture comme seconde nature. Pour Lezama, la culture est pour homme, une seconde nature, une natura naturans, qui n’est pas donnée et figée mais qui se transforme, évolue.15
La culture et le savoir livresque sont donc au cœur des œuvres chez Lezama. La mère du héros se nomme Rialta, qui est une version féminisé du célèbre pont de Venise, le Rialto. Ce type de détails, assez anecdotique en soi, instaure une atmosphère saturée de références culturelles dans les romans de Lezama. Dans le second roman, on découvre que le héros éponyme, Oppiano Licario, a rédigé un manuscrit, la Súmula, nunca infusa, de excepciones morfológicas (Somme jamais infuse d’exceptions morphologiques) que sa sœur, elle aussi au nom porteur de sens, Ynaca Eco Licario, confie à José Cemí, qui devient alors le gardien d’un savoir inédit. A partir du titre, on comprend que c’est un livre de lettré, ni un roman, ni un essai, ni un livre de poésie, plutôt de l’ordre de l’encyclopédie, de la compilation. Mais avant même qu’il ne puisse s’occuper des papiers (qu’il puisse faire un travail éditorial ou intellectuel avec), à cause d’un chien et d’un cyclone qui balaie La Havane, les papiers sont trempés, tout est perdu à l’exception d’un poème. Sa volonté, avec l’aide de Fronesis, de sauver restes de la Súmula ne suffira pas.
Nous avons donc affaire à des personnages dont la vie tourne essentiellement autour du savoir, en particulier du savoir écrit, ils fréquentent les bibliothèques, sont fascinés par le charisme que donne l’érudition. Ils correspondent en tous points à la définition de W. Marx. Ils écrivent très peu, Oppiano Licario est le seul à écrire vraiment, mais son œuvre est presque perdue, ces personnages sont donc effectivement plutôt du côté du lecteur que de l’auteur.16 Pour boucler la boucle, notons que José Lezama Lima a donné à José Cemí sa maladie, l’asthme, qui est une vraie maladie de lettré17.
Le lecteur
La troisième face du lettré est celle du lecteur. Et ce n’est pas la moins problématique puisqu’un auteur comme Lezama amène aussitôt à se poser la question du savoir du lecteur. Paradiso brasse une diversité de savoirs qui va de la divination dans la culture chinoise antique à Nietzsche, en passant par Pythagore, l’ésotérisme étrusque aussi bien que le moyen âge carolingien, Kandinsky, saint Augustin ou la culture populaire cubaine. Il s’agit est véritablement d’une somme – au sens de celles que l’on écrivait à l’époque médiévale – et il est même tentant de faire de Paradiso, la Súmula, nunca infusa, de excepciones morfológicas, le livre perdu de Oppiano Licario. Le parallèle entre l’œuvre fictive et l’œuvre réelle est bien sûr imparfait, mais il y a une sorte de parenté, de consanguinité générique entre les deux. Les romans de Lezama sont des œuvres qui choisissent leur lectorat, et un lectorat souvent resserré. D’autant que par moments, les allusions sont assez élusives et nécessitent de la part du lecteur, pour être comprises, soit des connaissances pointues, soit un travail de recherche (le lecteur peut aussi évidemment faire le choix de passer outre). La langue est aussi une langue très travaillée, c’est la langue de quelqu’un qui fréquente assidument les dictionnaires : raretés lexicales, syntaxe complexe, archaïsmes tant lexicaux que grammaticaux, auxquels il faut ajouter un certain nombre de néologismes proches de la langue technique de la philosophie ou de la théologie.
Face à cet évident problème de réception les lecteurs ont eu besoin, lorsque les premières traductions de Paradiso ont vu le jour, de faire appel à des repères pour situer cet « objet littéraire non identifié (non identifiable ?) ». Dès lors les comparaisons avec d’autres auteurs se sont multipliées, souvent suivies de jugements de valeur. Dans une lettre à sa sœur, Lezama se plaint des comparaisons :
Leí la sombria [sic] crítica de Wood en The New York Review. Es una crítica dogmática que ya sabemos por qué lado viene. La antipatía que dice tener por palabras como irreal, invisible, revelan [sic] las limitaciones comprometidas de su sensibilidad. Y las eternas comparaciones idiotas con Proust, con Joyce, con Mann, demuestran la voluntad negativa y cerrada con que ha leído la obra. Estoy ya cansado de esas simplificaciones ridículas. Porque hay asma, abuela y madre tiene que estar Proust, como si yo no pudiera ser tan asmático como Marcelo. Como aparecen adolescentes hay que citar a Joyce. Como en la novela aparecen diálogos sobre temas de culturas es, desde luego, el Settembrini, de la Montaña. Da pena cansarse uno las manos para tanta mierda que ejerce la crítica con pedantería de dómine. La esencia de Paradiso se les escapa, perdidos en los escarceos del enjuiciamiento crítico. No tienen la necesaria perspectiva ni la suficiente cultura para enfrentarse con la obra.18
Lezama, au langage d’habitude si châtié, s’agace de ces lectures qui ne prouvent à son avis que la superficialité des critiques. Lui qui établit sans cesse dans ses romans des liens, des parallèles, entre différentes œuvres d’art, ne supporte pas les « comparaisons idiotes », réductrices. Il demande donc au lecteur d’aller au-delà de cette simple intuition de surface. On remarque qu’il relève l’insuffisance de la culture du critique (et plus largement, de la critique), il réclame donc bien un lecteur lettré.
Lezama, malgré tout, traînera toujours derrière lui toute une série de surnoms tels que le « Proust des Caraïbes », « Góngora des Tropiques », « Joyce cubain », etc. Mais nous sommes là face à un problème insoluble : c’est plutôt à des lecteurs lettrés que s’adressent les romans de Lezama, mais comme ces lecteurs sont des lecteurs lettrés, ils ne peuvent s’empêcher de comparer avec ce qu’ils connaissent, c’est-à-dire, 3 ou 4 des plus grands écrivains du 20e s (Proust, Joyce, Mann). Toutefois, ceux qui établissent ces comparaisons sans aller au-delà, ne sont pas encore assez lettrés pour l’auteur !
Paradiso et sa suite, on l’aura compris, sont bien une affaire de lettrés : auteur, personnages, lecteurs qui sont, en quelque sorte mis en relation entre les uns avec les autres par l’œuvre narrative. Auteur, personnage et lecteur forment déjà un premier trio de lettrés constitué par le savoir. Mais ce n’est que le premier d’une longue série.
Des chiffres et des lettrés
Dans la culture occidentale, l’un des premiers à avoir lié nombres et savoir fut Pythagore, et cette figure fascina José Lezama Lima. Plusieurs pages de Paradiso sont d’ailleurs consacrées à une conversation sur la symbolique des nombres19. Même si Pythagore et Lezama vouent un culte particulier au quaternaire, au quatre, au tétraktys, chez Lezama, le trois reste lié indéfectiblement au savoir. Il pense vraisemblablement en catholique de ce point de vue. Pour ne pas risquer des confusions, je parlerais pour le moment à propos des romans de Lezama de triades plutôt que de trios ou de trinités.
La 1ere triade, la plus évidente, est celle formée par les trois amis : Cemí, Fronesis et Foción. Ils échangent, partagent et débattent comme sur un plan d’égalité, l’un d’entre eux se détachant parfois sur un sujet plutôt qu’un autre. Cette trinité peut s’interpréter de la manière suivante : Fronesis serait un peu l’incarnation de la bonne conscience et du côté apollinien de Cemí, alors que Foción représenterait plutôt sa mauvaise conscience et son côté dionysiaque20.
La 2e triade réunit Cemí, Licario et Ynaca, la sœur de ce dernier. Par son 2e nom, « Eco », Ynaca est en quelque sorte l’Eco de Licario, l’écho de son frère. Elle sert en quelque sorte de médium entre le héros du premier roman et le héros éponyme du second. C’est elle qui établit la connexion entre les deux et elle transmet le savoir de son frère à José. Tout cela n’est pas sans une certaine signification chrétienne car Ynaca sert de véhicule, de « vaissel » (comme la Vierge servit de médium pour la création du Fils, et permit que le Verbe se fasse chair, Ynaca porte la parole sapientale de son frère) au savoir d’Oppiano Licario. C’est elle qui mène José Cemí à une nouvelle vie spirituelle, plus élevée, à une sorte de renaissance. De plus, il faut ajouter à cette triade une dimension érotique puisque Ynaca sert également d’initiatrice d’une certaine manière à José Cemí.
La 3e triade est plus ouvertement chrétienne, et forme une trinité nouvelle. José Cemí n’a pas n’importe quelles initiales (JC). D’ailleurs une conversation sur Pythagore rappelle au sujet des mystères, les 3 hypostases de la trinité chrétienne, à savoir, « el Padre, el Verbo, el Espíritu Santo »21. Cette trinité nouvelle se composerait du père, José Eugenio Cemí en figure du Père (qui « abandonne » le fils par sa mort), du fils, José Cemí, verbe qui s’est fait chair, et enfin de l’esprit saint (incarné dans le roman, soit par l’oncle Alberto, caractérisé par sa langue si élaborée et sur lequel José Cemí va prendre modèle, soit par Oppiano Licario en personne). C’est à la mort du père et de l’oncle que s’effectue une sorte de passage de témoin avec Oppiano Licario, celui-ci veillant alors de loin sur le jeune Cemí.
On a donc affaire à une triple triade (on pourrait maintenant parler de trinités au vu de leur lien avec la trinité chrétienne) dans lesquelles José Cemí est à chaque fois partie prenante. Le savoir semble donc nécessairement dans les fictions de Lezama passer par une triade. Il est assez évident qu’il y a de sa part une volonté de rappeler la dimension sacrée du savoir. Sa perception est également tributaire de sa longue fréquentation des textes ésotériques de différentes cultures. La quête du savoir chez Lezama n’est donc pas seulement une affaire d’édition de textes et d’érudition même si elle est l’affaire des lettrés.
Pour en terminer avec les triades, il convient d’ajouter que ce sont des triades dynamiques : elles tendent progressivement à une réduction vers l’Unité. Cette réduction se fait en passant par le 2, comme on pouvait s’y attendre : Foción est discrédité (triade 1) ; le père de Cemí meurt (triade 3) ; Oppiano Licario aussi (triade 2), et dès lors José Cemí va pouvoir apparaître un peu comme sa réincarnation, ce dont Licario a parfaitement conscience avant sa mort puisqu’il prépare « l’avènement » de José Cemí tout comme Esaïe préfigurait le Christ ; José Cemí – équivalent de la Nouvelle Loi qui vient accomplir l’Ancienne (dont l’équivalent est ici Oppiano Licario) – « viene a corporizar a Licario (…) [quien] es un genitor de la imagen »22.
De la dualité on s’achemine vers l’unité lorsque Cemí prend son indépendance par rapport à Fronesis (triade 1), José Cemí est le vrai héros-messie du savoir ; oncle meurt aussi (triade 3) ; Ynaca a un rôle d’initiatrice et de médium véritablement, puis elle s’efface (triade 2). Une fois que les adjuvants ont accompli leur rôle, José Cemí peut pleinement s’épanouir comme figure centrale et totalisante puisqu’il cumule désormais savoir de chacun des membres de chaque triade-trinité à laquelle il appartient : il est incarnation (au sens fort du terme) à lui seul, de la Somme.
Au-delà de l’érudition : la question du savoir
Nous avons donc affaire à une trinité revue et corrigée dont l’enjeu n’est pas tant la rédemption du genre humain, que l’acquisition d’une sorte de savoir créateur absolu (dont l’expression ultime est ce que Lezama appelle l’image, sorte de motif culturel apte à traverser les générations et donc le temps). José Cemí est présenté en nouveau messie, messie de l’image, venant opérer la synthèse du savoir créateur préparée par Oppiano Licario dans sa somme. Rappelons-nous que la Somme de Licario est une somme d’ « exceptions », c’est-à-dire de faits uniques, de créations uniques. Bien sûr le lecteur n’aura pas droit à cette synthèse, mais encore une fois, l’ensemble de l’œuvre de José Lezama Lima peut donner une idée de ce qu’elle pourrait être. De plus, il faut garder à l’esprit que Oppiano Licario est un roman inachevé : la question de savoir ce que Lezama y aurait mis occupera toujours le lecteur et le critique. N’aurait-il pas fini par présenter des extraits de la Somme de Licario, extraits reflétant ce que pourrait être l’ensemble de l’œuvre.
D’une certaine manière, on a affaire ici à des lettrés mystiques, même si les personnages de Paradiso ne sont pas véritablement religieux : ils ne vont pas à la messe et ne prient pas non plus. Cette quête du savoir a toutefois un lien avec quelque chose d’éminemment transcendant, qui dépasse tout individu, quel qu’il soit. La figure du lettré, chez Lezama, on continue à le constater, est fondamentalement paradoxale : ils sont du côté de la création, mais sans toutefois être écrivains (ils ressemblent en cela beaucoup au personnage de Valéry, M. Teste, qui a, par ailleurs, énormément intéressé Lezama, comme toute l’œuvre de Valéry qu’il commente à plusieurs reprises dans ses essais), ils se situent du côté de la lettre mais c’est la parole qu’ils pratiquent le plus volontiers. Dès lors, ils parlent bien plus qu’ils ne laissent de traces…
Ces personnages de lettrés ne peuvent échapper au savoir, c’est en quelque sorte leur destin que d’être au service du savoir. Pour illustrer cela, je voudrais simplement traiter l’onomastique sans perdre de vue l’axe que j’ai choisi, la relation des lettrés au savoir. Tous les personnages du diptyque romanesque de Lezama méritaient que l’on s’intéresse à leur nom, s’il y a bien un auteur qui ne choisit pas les noms au hasard, c’est bien Lezama, toutefois ils sont trop nombreux pour cela, je n’étudierai donc que quatre noms pour montrer que la question du savoir est inscrite au cœur même de l’œuvre.
Je commencerais avec le plus évident, Ricardo Fronesis. Fronesis en grec désigne la sagesse. Lezama a tellement conscience du caractère « artificiel » du nom de son personnage que les autres personnages, tout naturellement, commentent ce nom, en remarquant à quel point il s’accorde bien à Ricardo, « Veo – le contestó Cemí –, que todovía sigues dependiendo de tu appelido, Fronesis, la sabiduría, el que fluye, el que se mueve ; no quieres llamarte Noesis, el deseo de la novedad, lo que deviene sin cesar. » 23. Bel exemple de cratylisme, qui ne se dissimule pas puisque la réflexion de Cemí est en réalité tirée du Cratyle de Platon (passage associé dans le texte de Lezama à un commentaire de Plutarque) !24
C’est également chez Plutarque qu’il faut aller chercher l’origine du nom de Foción puisqu’il s’agit d’un héros (Phocion) auquel Plutarque consacre une de ses Vies Parallèles (il y est associé à Caton le Jeune), les Vies Parallèles faisaient partie du « curso délfico » et étaient une des lectures récurrentes de Lezama. Ajoutons à cela que Phocion est un de ces nombreux auteurs grecs dont il ne reste aucun écrit, ce qui évidemment devait fasciner l’érudit cubain.
Oppiano Licario, quant à lui est assez complexe : il est « el-Ícaro », l’Icare du mythe, celui qui réussit à sortir du labyrinthe et qui s’élève plus haut que le reste de l’humanité, sans toutefois de brûler les ailes. Son prénom « Oppiano » lui vient du nom d’un sénateur stoïcien romain Oppianus Claudius25 : dès lors, on comprend que ce nom est à lui seul un composé, puisqu’il associe la culture latine dans le prénom et la culture grecque dans le nom, ce nom est déjà une synthèse, à l’image de celui qu’il désigne, et surtout à l’image de la somme que Licario a écrite.
Un autre personnage est particulièrement intéressant de ce point de vue, il s’agit de la bibliothécaire, Editabunda, dans Oppiano Licario.26 Cela va évidemment de soi qu’il y ait un personnage de bibliothécaire (peut-être faudrait-il parler de gardien de bibliothèque, comme on parle de gardien du temple ?) dans l’œuvre de Lezama. Son nom est en relation avec son activité, comme on peut s’en douter : il est composé de deux racines, « edita » du verbe espagnol « editar », « éditer » et « abunda », du verbe espagnol « abundar », qui signifie « abonder », « foisonner ». C’est donc l’union de l’idée de diffusion du savoir et de celle de pléthore qui définit onomastiquement ce personnage, et en fait une gardienne et une propagatrice du savoir.
Pour terminer, il convient de s’intéresser au nom de José Cemí. Son prénom lui vient de son créateur, qui avait coutume de dire, lorsqu’il se présentait au téléphone par son prénom seulement, qu’il n’y avait à Cuba que deux « José », José Martí, au siècle passé et lui-même, dans ce siècle.27 Lezama était assez désinvolte avec l’orthographe et la rigueur et nous avons donc deux orthographes pour Cemí.28 Dans les premiers brouillons, en particulier, on trouve l’orthographe « Semí », même si aujourd’hui c’est l’orthographe « Cemí » qui est communément retenue. Il y a en fait une sorte d’oscillation entre le c et le s (on trouve parfois dans la même page de manuscrit les deux orthographes sans que cela ne semble gêner le moins du monde Lezama – c’est d’ailleurs un des grands débats chez les critiques de Lezama : faut-il corriger les fautes et uniformiser le texte, puisque pour Lezama cette orthographe aléatoire fait partie du hasard qui participe à la création ?). Toujours est-il que nous pouvons donc proposer des analyses du nom de Cemí qui vont dans deux sens. Avec le c, il y a d’une part la correspondance avec les initiales du Christ, et d’autre part l’origine indienne du nom29. La leçon « Semí » renvoie au sème (du grec sema = signe) ; José C/Semí a donc un nom qui le met, de fait, au cœur du signe, il est à la fois le Signe (la parenté de Lezama avec Mallarmé et son obsession pour le signe est évidente, Lezama fut un lecteur assidu de Mallarmé et il a même participé à une édition cubaine du poète français ; Cemí est la fois une résurgence du Christ et de Mallarmé !) et l’Herméneute. Il est le Signe dans la mesure où son nom le désigne comme tel, dans la mesure aussi où son existence plus ou moins messianique fait de lui une sorte d’événement à expliquer et qui vient donner un sens, il est une image au sens où Lezama emploie ce mot, une émanation de la transcendance, une preuve, un signe de cette transcendance – signe qui est à interpréter également. C/Semí est également l’Herméneute (il faut ici garder en tête le travail de Deleuze, Proust et les signes) puisqu’il est chargé d’interpréter tous les signes qu’il croise, c’est un personnage d’interprète à plein temps. Il est donc à la fois celui qui interprète et ce qui est à interpréter. Encore un paradoxe d’une certaine manière.
Le constat est assez net : la question du savoir est donc inscrite dans les personnages-mêmes. Ces personnages existent pour un but unique qui les dépasse, le Savoir, un savoir toujours créateur qui est plus le fait d’une humanité que de l’individu.
*
Toute la narration présentée dans Paradiso et sa suite est tellement construite autour de la relation entre lettrés et savoir que l’on peut se demander si l’on a encore affaire à des lettrés humains. Heureusement la réalité (en particuler l’Eros) les rappelle de temps à autres à la matérialité, sinon, on aurait plus tendance à les percevoir comme des anges que comme des personnages « traditionnels ». Le savoir présenté comme quelque chose qui dépasse résolument la figure humaine individuelle. Le lettré ici est plus que jamais au service du savoir – mais autant du savoir oral, potentiel, que du savoir écrit. La vision du Savoir qu’a Lezama est celle d’un savoir qui doit être nécessairement total, global (à l’opposé du savoir moderne spécialisé) parce qu’il est fait de liens, de relations entre les différents domaines (j’irai jusqu’à avancer que Lezama ne pense même plus en termes de domaines, de disciplines du savoir), les différents modes d’expression, les différentes époques, les différentes cultures (pour lui il y a des échos des unes dans les autres, toutes les barrières, spatiales, temporelles sont abolies, il conçoit le savoir et la culture comme une sorte de réseau avec de multiples connexions ; l’image de la toile internet et de ses liens hypertextes est probablement celle qui est la plus juste). Malgré tout, et surtout malgré notre fréquentation d’internet, c’est une conception qui bouscule encore beaucoup notre perception actuelle de la connaissance extrêmement sectorisée.
Savoir et interprétation sont bien les enjeux principaux de l’œuvre romanesque et par delà, de toute œuvre de Lezama où chaque détail renvoie au tout, de même que les romans ne sont qu’une partie, la partie la plus « simple » du tout que forment les écrits de Lezama, ce tout qu’il a lui-même intitulé « le système poétique du monde », où la création littéraire vient donner une explication globale du réel.
Le savoir ne se donne pas directement, il faut déchiffrer comme on déchiffre l’œuvre du lettré Lezama, mais d’une certaine manière l’interprétation ne suffit pas, elle va de pair avec la création. Le réel semble ne pouvoir s’interpréter qu’au travers de la création, Lezama Lima étant le premier à montrer l’exemple : même lorsqu’il commente ses textes, il semble créer, c’est toujours la même langue qui est à l’œuvre (au sens plein de l’expression). Sa pensée qui crée un système est au fond toujours une pensée dynamique.
*
1) Bibliographie de l’article
BAREGE Thomas, « Godofredo el “di(h)ablo” en Paradiso de Lezama Lima » in Cartaphilus, Revista de Investigación y Crítica Estética, n° 6, universidad de Murcia, 2009, p. 7-15, lien internet : http://revistas.um.es/cartaphilus/article/viewFile/91531/88181
BIANCHI ROSS Ciro, « The errata of Paradiso », Cubanow.net, article électronique consulté le 24/06/2010 et disponible sur internet à l’adresse suivante :
http://www.cubanow.net/pages/articulo.php?sec=17&t=2&item=2190
ou bien dans sa version espagnole, « Las erratas de Paradiso » :
http://www.juventudrebelde.cu/UserFiles/File/impreso/ilectura-2008-03-02.pdf
GRACQ Julien, Lettrines, dans Œuvres complètes II, Paris : Gallimard – Pléiade, 1995. LEZAMA LIMA José, Cartas a Eloísa y otra correspondencia, Madrid : Editorial Verbum, 1998. LEZAMA LIMA José, La expresión americana, La Habana : Letras cubanas, 1993.
LEZAMA LIMA José, Oppiano Licario, Madrid : Cátedra, 1989. Edition de César López. LEZAMA LIMA José, Paradiso, ALLCA – Archivos, 1996, édition coordonnée par Cintio Vitier. MARX William, Vie du lettré, Paris : Editions de Minuit – Paradoxe, 2009.
2) Bibliographie indicative française de Lezama Lima
- Œuvres de Lezama en français :
Romans :
Paradiso, Seuil, 1971, traduction de Didier Coste, réédition : Points, 1999.
Oppiano Licario, Seuil, 1991, traduction de Benito Pelegrín. Préface de Severo Sarduy.
Nouvelles :
Le Jeu des décapitations, Paris : Éditions du Seuil, 1984, traduction de Benito Pelegrin. Réédition, Points, 1991.
Essais :
Introduction aux vases orphiques, Paris : Flammarion, 1983, traduction de Albert Bensoussan.
L'expression américaine, Paris : l'Harmattan, 2001, préface et traduction de Maria Poumier ; notes de Irlemar Chiampi et Maria Poumier.
Poésie :
Dador, Paris : Flammarion, 1980, traduction de Gérard de Cortanze.
Double nuit et Le pavillon du vide, Paris : Parler net, 1984. Edition bilingue, traduction de Armando Uribe Echeverría.
- Critique en français sur Lezama Lima :
Ouvrages et articles :
GUICHARNAUD TOLLIS Michèle, « Des écrivains de la Révolution témoignent : autoportraits », MOULIN CIVIL Françoise (éd.), Cuba 1959-2006 Révolution dans la culture - Culture dans la révolution, Paris : L'Harmattan, 2008, p. 83 - 92.
JITRIK Noé, « A propos de Paradiso de José Lezama Lima », Colloque de Cerisy, sous la direction de Jacques Leenhardt, Littérature latino-américaine d’aujourd’hui, Paris : 10/18, 1980, p. 256-280.
LARROSA Jorge, Apprendre et être. Langage, littérature et expérience de formation. ESF éditeurs – Pédagogies essais, 1998. Chapitre I. 3. “Trois images de Paradiso”, p. 65-83.
MOULIN CIVIL Françoise, articles « José Lezama Lima », « Orígenes » et « Paradiso » dans le Dictionnaires des littératures hispaniques, R. Laffont – Bouquins, 2009, sous la direction de Jordi Bonells.
PELEGRÍN Benito, « Approches d’un continent vierge : José Lezama Lima », in C.I.E.R.E.C., Démarches linguistiques et poétiques – Travaux XIX, Université de Saint-Etienne, 1977, p. 277- 302.
PELEGRÍN Benito, « Approches d’un continent vierge : José Lezama Lima III », in C.I.E.R.E.C.,
Aspects des civilisations ibériques – Travaux XXIV, Université de Saint-Etienne, 1978, p. 225-252.
PELEGRÍN Benito, « Approches d’un continent vierge : José Lezama Lima II », in C.I.E.R.E.C.,
Aspects des civilisations ibériques – Travaux XXIV, Université de Saint-Etienne, 1979, p. 53-82.
PELEGRÍN Benito, « Tours, détours, contours d’un système poétique : José Lezama Lima », Colloque de Cerisy, sous la direction de Jacques Leenhardt, Littérature latino-américaine d’aujourd’hui, Paris : 10/18, 1980, p. 335-355.
RUPRECHT Hans-George, « En marge de Paradiso: des champs textémiques de Lezama Lima », VIZCAINO Cristina, SUAREZ GALBAN Eugenio (éd.), Coloquio internacional sobre la obra de José Lezama Lima II : Prosa, p. 103-123.
SEGUIN Marie-Christine, José Lezama Lima : poète des quatre éléments, Paris : l’Harmattan, 2005.
Numéros de revue consacrés à Lezama Lima :
Cyclocosmia, n° 2, Paris : juin 2009.
Digraphe, n° 90-91, Paris : hiver 2000.
Le trait, n° 5, 1999.
ORACL, n° 2, Poitiers : ORAC, hiver 1982-1983.
1. William Marx, Vie du lettré, Paris : Editions de Minuit – Paradoxe, 2009, p. 11.
2. Disponible sous le titre de Paradiso, dans une traduction française de Didier Coste, aux éditions du Seuil.
3. La traduction française est de Benito Pelegrín et est publiée au Seuil.
4. Il publie son premier roman à seulement 56 ans !
5. Nous célébrons cette année le centenaire de la naissance de Lezama, espérons que ce sera l’occasion pour l’écrivain d’élargir son lectorat français.
6. On trouvera, en fin d’article, une bibliographie française de Lezama.
7. Traduction très « personnelle », pour ne pas dire remplie de fautes et de contre-sens, la connaissance qu’avait Lezama du français étant très imparfaite.
8. Parmi eux, Reinaldo Arenas et Severo Sarduy, pour ne citer que les plus connus.
9. A propos du « curso délfico », voir l’évocation qu’en fait Manuel Pereira dans « El curso délfico », article présenté aux pages 598-618 de l’édition critique de Paradiso, ALLCA – Archivos, 1996, coordonnée par Cintio Vitier. Edition désormais abrégée en P.
10. P. p. 13 « los monólogos shakespearianos del mulato ».
11. Julien Gracq, Lettrines, dans Œuvres complètes II, Paris : Gallimard – Pléiade, 1995, p. 213.
12. P, p. 240 « En mi opinión, Don Quijote es un Simbad, que al carecer de circunstancia mágica, del ave rok que lo transporte, se vuelve grotesco. » (A mon avis, Don Quichotte es un Simbad, qui par manque de circonstance magique, d’oiseau rok pour le transporter, en devient grotesque.)
13. Il est tentant ici de voir un souvenir des dialogues platoniciens.
14. P, p. 242, je souligne ; « Cemí vit la succession pierreuse de la forteresse et immédiatement, il pensa à ce que feraient Kafka et Cocteau de ces labyrinthes défensifs. »
15. C’est dans son recueil d’essais, La expresión americana, qu’il développe le plus cet aspect de sa pensée. Cet ouvrage a été traduit en français sous le titre L’expression américaine, et reste à ce jour, le recueil d’essais le plus diffusé de Lezama.
16. « Un lettré se situe du côté du lecteur plutôt que de celui de l’auteur : il a sacrifié sa vie pour faire entendre la parole d’autrui. » William Marx, Vie du lettré, Paris : Editions de Minuit – Paradoxe, 2009, p. 11.
17. Cf William Marx, Vie du lettré, op. cit., p. 23 et svtes. Cemí a en commun avec son créateur la perte du père, et W. Marx dit à ce sujet, p. 18 que le deuil est une « incomplétude constitutive ou faille originelle qui rendent le lettré sensible à tous les défauts du savoir et de la mémoire, et d’autant plus nécessaires le travail de l’érudition et la recherche d’archives. » Dans le cas de Lezama, celui-ci insiste bien sur le fait que la mort de son père a déclenché en lui une acuité, une capacité d’attention particulière. Il en va de même, on l’aura compris, avec José Cemí.
18. Lettre à Eloísa, datée du 01/10/1974, in Cartas a Eloísa y otra correspondencia, Madrid : Editorial Verbum, 1998, p. 186-187. « J’ai lu la sinistre critique de Wood dans le The New York Review. C’est une critique dogmatique dont nous connaissons bien l’origine. L’antipathie qu’il dit avoir pour les mots tels que irréel, invisible, révèle les limites engagées de sa sensibilité. Et les éternelles comparaisons idiotes avec Proust, avec Joyce, avec Mann, démontrent la volonté négative et fermée avec laquelle il a lu l’œuvre. Je suis déjà fatigué de ses simplifications ridicules. Parce qu’il est question d’asthme, de grand-mère et de mère c’est nécessairement Proust, comme si je ne pourrais pas être aussi asthmatique que Marcel. Comme des adolescents apparaissent il faut citer Joyce. Comme dans le roman apparaissent des dialogues sur des thématiques culturelles c’est, bien évidemment, le Settembrini, de La Montagne. Cela fait de la peine de se fatiguer les mains pour une pareille merde qui exerce la critique avec une pédanterie de latiniste. L’essence de Paradiso leur échappe, perdus qu’ils sont dans les tentatives de jugement critique. Ils n’ont pas la perspective nécessaire ni la culture suffisante pour se confronter à l’œuvre. »
19. P, p. 326 et svtes.
20. Au sujet des figures diaboliques dans Paradiso, voir Thomas Barège, « Godofredo el ndi(h)ablon en Paradiso de Lezama Lima » in Cartaphilus, Revista de Investigación y Crítica Estética, n° 6, universidad de Murcia, 2009, p. 7-15, lien internet : http://revistas.um.es/cartaphilus/article/viewFile/91531/88181
21. P, p. 327. « le Père, le Verbe (ou le Fils), le Saint Esprit ».
22. P, p. 715. « vient donner corps à Licario […] qui est un géniteur de l’image. »
23. P, p. 299 « Je vois, lui répondit Cemí, que tu continues à dépendre de ton nom, Fronesis, la sagesse, celui qui s’écoule, qui se meut ; tu ne veux pas t’appeler Noesis, le désir de la nouveauté, ce qui devient sans cesse. » et voir p. 505, note 21.
24. L’origine du nom « Fronesis » viendrait d’une lecture de Curtius commentant le Anticlaudianus d’Alain de Lille dans lequel apparaît une allégorie nommée Phronesis (voir P. p. 485 note 11).
25. Voir P. p. 714.
26. Lezama Lima, Oppiano Licario, Madrid : Cátedra, 1989. Edition de César López, p. 424-431.
27. Voir Manuel Pereira, op. cit., p. 601. José Martí fut poète, écrivain et un peu le père de la nation cubaine, puisqu’il lutta toute sa vie pour l’indépendance du Cuba et il mourut lors de la guerre d’indépendance contre les colonisateurs espagnols à la fin du XIXe siècle. José Martí est une des références les plus constantes de l’œuvre de Lezama.
28. Lezama ne cite presque jamais correctement un auteur, il y a toujours des fautes, surtout lorsqu’il cite de mémoire – sans jamais vérifier – et, qui plus est, dans une langue qu’il ne maîtrise pas. Editer Paradiso est une
gageure en soi puisque pour uniformiser le texte et le rendre publiable, les éditeurs sont obligés de corriger manuscrits et texte des éditions antérieures, avec un nombre de variantes qui atteint presque les quatre chiffres...
Voir par exemple : Ciro Bianchi Ross, « The errata of Paradiso », Cubanow.net, article électronique consulté le 24/06/2010 et disponible sur internet à l’adresse suivante :
http://www.cubanow.net/pages/articulo.php?sec=17&t=2&item=2190
ou bien dans sa version espagnole, « Las erratas de Paradiso » :
http://www.juventudrebelde.cu/UserFiles/File/impreso/ilectura-2008-03-02.pdf
29. Voir M. Pereira, op. cit., p. 605 : « un nombre arahuaco (Cemí) ». Les Arahuacos ou Arhaucos sont des indiens de l’actuelle Colombie. D’autres origines du nom de Cemí ont pu être avancées par la critique.