Virginie Tellier
CY Cergy Paris Université
EMA (EA 4507)
7-SILENE-Casse_noisette-Tellier
Le conte de Casse-noisette a fait l’objet de tant de réécritures, d’adaptations et de transpositions depuis sa publication qu’il semble aujourd’hui s’inscrire de plain-pied dans une culture mondiale de Noël. Hoffmann publie d’abord « Nußknacker und Mausekönig » [« Casse-noisette et le roi des rats »], en 1816 (Berlin), dans un recueil intitulé Kindermärchen [Contes pour enfants] où il côtoie deux autres contes de Carl Wilhelm Salice Contessa et de Friedrich de la Motte Fouqué. Il le reprend trois ans plus tard pour l’insérer à la toute fin du premier volume de Die Serapionsbrüder [Les Frères de Saint-Sérapion] (Berlin, 1819). Le conte fait ensuite l’objet de nombreuses traductions et réécritures à travers l’Europe. Alexandre Dumas, par exemple, en propose une adaptation en volume séparé, sous le titre Histoire d’un casse-noisette (Paris, Hetzel, 1844, 2 volumes). En 1892, la version de Dumas est transposée à la scène par Piotr Tchaïkovski, Marius Petipa et Lev Ivanov sous le titre de Ŝelkunčik [Casse-noisette], à Saint-Pétersbourg, au théâtre Mariinski : désormais, le ballet russe se superpose au conte allemand et marque l’ensemble de la production ultérieure, l’inscrivant dans une culture mondialisée.
C’est tout au moins l’hypothèse que je me propose de mettre à l’épreuve en étudiant cinq versions filmiques, empruntées à trois espaces culturels distincts, les États-Unis, l’Europe occidentale et l’Union soviétique/Russie. Je m’intéresserai ainsi à « Nutcracker Suite » [« Suite du Casse-noisette »] de Samuel Armstrong, court-métrage initialement présenté dans la série des Silly Symphonies sous le titre de « Flower Ballet » [« Le Ballet des fleurs »], puis inclus dans Fantasia, (Disney, 1940), au Ŝelkunčik [Casse-noisette] de Boris Stepantsev (Soyuzmultfilm, 1973), à The Nutcracker: The Untold Story [Casse-noisette : l’histoire jamais racontée] d’Andreï Kontchalovski (G2 Pictures et Vertigo Média Kft., 2010), à Gofmaniada [Hoffmaniada] de Stanislav Sokolov (Soyouzmultfilm, 2018) et à The Nutcracker and the Four Realms [Le Casse-noisette et les quatre royaumes] de Lasse Hallström et Joe Johnston (Disney, 2018)1.
Ces œuvres tissent entre elles des liens qui les inscrivent dans une culture commune. La version d’Armstrong repose sur l’animation filmique de la musique de Tchaïkovski. Prolongeant le dialogue, Stepantsev semble répondre, depuis l’Union soviétique, aux innovations graphiques d’Armstrong. Kontchalovski, réalisateur russe, crée un film, en anglais, produit par des studios anglais et hongrois, et tente de réinscrire sa fiction dans un cadre germanique. Sokolov, qui prolonge la tradition des studios d’animation soviétiques, fait de son film un hommage à Hoffmann, plutôt qu’à Tchaïkovski. Quant à Hallström et Johnston, ils s’inscrivent résolument dans un large cosmopolitisme, qui associe Hoffmann, Tchaïkovski et Armstrong pour former une fiction globalisée, destinée aux publics enfantins du monde contemporain. Ces versions successives dessinent-elles alors une poétique spécifique pour le « conte de Noël » ? Le présent article s’intéressera d’abord à la construction de la fiction du Casse-noisette, qui engage un rapport spécifique au merveilleux, placé au cœur des contes de Noël. Il interrogera ensuite plus spécifiquement le rôle qu’y reçoivent les jouets, emblèmes à bien des égards de la magie de Noël. Il se penchera enfin sur la dimension nationale, mondiale ou globale des différentes variations de Casse-noisette retenues.
Casse-noisette, un conte merveilleux ?
Les Kindermärchen de 1816, suivis d’un second volume dans lequel Hoffmann publie « Der fremde Kind » [« L’enfant étranger »] un an plus tard, sont une réponse à l’entreprise des frères Grimm, qui ont publié leur Kinder-und Hausmärchen [Contes de l’enfance et du foyer] entre 1812 et 1815. Il s’agit alors de contribuer à nourrir la réflexion romantique sur la nature du conte.Poursuivant cette réflexion sur la poétique du genre qu’il contribue à inventer, Hoffmann publie à nouveau « Nußknacker und Mausekönig » en 1819 dans Les Frères de Saint-Sérapion, où le texte se trouve enchâssé dans un dialogue dont la fonction est précisément d’interroger sa nature de « conte pour enfants »2. Le conte y est alors présenté par Lothar, double de Lamotte-Fouqué, qui a publié dans les Kindermärchen « Die kleine Leute » [« Le Petit Peuple »] en 1816 et « Der Kuckkasten » [« La Boîte optique »] en 18173. Les contradicteurs de Lothar estiment qu’un enfant ne serait pas capable de démêler les fils de l’œuvre, autrement dit d’en percevoir la profonde unité.
Le dispositif narratif retenu par Hoffmann est en effet complexe. Il existe, dans « Nußknacker und Mausekönig », trois niveaux de récit différents, diversement emboîtés. Le premier met en scène deux enfants, Marie et Fritz, la veille de Noël. Parmi les jouets qu’ils reçoivent se trouve un casse-noisette, qui s’anime la nuit. Un conflit oppose ce jouet à une armée de rats. Après plusieurs batailles, Casse-noisette, aidé de Marie, l’emporte sur le roi. Ce récit-cadre appartient au fantastique : les parents ne croient pas à la réalité de l’expérience de Marie et mettent sur le compte du cauchemar, du délire et de la maladie les récits fascinés et terrifiés que produit Marie au réveil. Le fantastique hoffmannien oppose clairement le monde diurne des adultes au monde nocturne des enfants, qui ont la faculté de croire en la réalité de leurs rêves, de donner du sérieux à leurs jeux, au risque d’en tomber malades.
Ce premier récit, qui pourrait se rattacher à la veine fantastique de Hoffmann, trouve place dans un cadre réaliste et interroge la frontière entre rêve et réalité, enfance et âge adulte, désir et fantasme, en suscitant la même inquiétante étrangeté que Freud4 a pu identifier dans « Der Sandmann » [« L’Homme au sable », 1817] : Marie, ses cauchemars et ses angoisses ne sont pas sans rappeler ceux de Nathanaël. La noisette qu’on casse pour l’émoi des jeunes filles peut constituer une métaphore de l’acte sexuel, tout comme le sang que perd Marie à l’issue de sa première nuit d’initiation. Le ballet de Tchaïkovski et certaines transpositions filmiques, qui font de Marie non plus une enfant mais une jeune fille, insistent sur cette dimension : Marie devient la grande sœur de Fritz, et non plus sa petite sœur.
Un seul adulte semble prêter foi aux allégations de la petite fille, c’est le parrain Drosselmeier. Or celui-ci fait le lien avec le deuxième niveau de l’histoire, puisqu’il raconte à la petite fille alitée le conte de la noisette dure, qui s’inscrit dans le registre du merveilleux. Dans un lointain royaume, la princesse Pirlipat a été transformée en monstre difforme après que le roi son père a tué les sept fils de la reine des Rats. Le neveu du grand horloger de la cour, qui porte lui aussi le nom de Drosselmeier, parvient à délivrer la princesse de l’enchantement, mais se trouve à son tour transformé en casse-noisette, au grand désespoir de son oncle. Ainsi s’achève, ou plutôt ne s’achève pas le conte : s’il se trouve suspendu à cette absence de finale, c’est parce qu’il doit se poursuivre sur un autre plan de réalité.
Marie, qui écoute l’histoire de son parrain, fait immédiatement le lien entre les deux casse-noisettes, et décide qu’il lui appartient désormais de sauver le jeune homme. La conclusion du conte de Hoffmann voit alors fusionner les deux niveaux de l’intrigue et semble donner raison à Marie : celle-ci, revenue dans le monde du réel, reconnaît le prince de ses rêves en la personne du neveu du parrain Drosselmeier, que ce dernier a opportunément amené chez Marie.
La richesse du conte hoffmannien vient précisément de cet enchâssement. Sur le plan sémantique, c’est lui qui permet d’expliquer la raison de la métamorphose initiale du prince en Casse-noisette, c’est lui surtout qui donne son épaisseur au personnage de Drosselmeier, figure qui appartient à la fois à l’histoire principale et au récit enchâssé. Sur le plan esthétique, il permet la coexistence de deux formes de contes, l’une appartenant au merveilleux enfantin et populaire, l’autre au fantastique littéraire, tel que Hoffmann contribue à l’inventer dans les premières années du XIXe siècle.
À ces deux niveaux enchâssés s’ajoute un troisième niveau, qui appartient également au merveilleux : il s’agit du séjour que Marie et Casse-noisette accomplissent dans le pays enchanté du monde des poupées. Le voyage prend place dans la chronologie du monde premier, puisqu’il a lieu après la victoire définitive contre le roi des rats. L’espace, en revanche, semble appartenir à celui du récit enchâssé, mais seulement au prix de nombreuses incohérences. Dans le conte de la noisette dure, Casse-noisette est le neveu du grand horloger, qui doit épouser la princesse Pirlipat parce qu’il l’a sauvée de la malédiction qui la frappait. Dans le royaume des poupées, il semble déjà prince, et libre de remplacer l’ingrate Pirlipat par la jolie Marie, sans que personne n’y trouve rien à redire. De fait, Pirlipat et ses parents en sont absents. Les chapitres intitulés « Das Puppenreich » [« Le Royaume des poupées »] et « Die Hauptstadt » [« La Capitale »] paraissent à bien des égards comme un développement gratuit, un peu incohérent, consacré au seul plaisir de l’imaginaire.
Ainsi le récit fantastique, doté d’une certaine violence, ou tout au moins d’une étrangeté problématique, contient chez Hoffmann non pas un mais deux récits enchâssés, qui s’inscrivent pleinement dans le registre du merveilleux enfantin. Le sens même du conte de Hoffmann tient au tissage de ces trois fils, qui apparaissent pourtant rarement tous trois dans les transpositions scéniques ou cinématographiques du conte. Dans notre corpus, seul le dessin animé de Stepantsev réussit le pari de conserver, en vingt-cinq minutes, les trois niveaux de l’intrigue, au prix de quelques simplifications et d’une articulation plus nette du propos. La suppression du personnage de Pirlipat permet par exemple à Casse-noisette, qui, posé sur les genoux de la petite fille, raconte son histoire à Marie, d’être immédiatement désigné comme le prince du récit enchâssé, métamorphosé par la reine des Rats.
La modification principale entre le texte littéraire et le livret de Petipa tient à la suppression du récit enchâssé de la noisette dure, qui conduit à la condensation des chapitres intitulés « Die Schlacht » [« Le Combat »] et « Der Sieg » [« La Victoire »] en une seule scène de combat, dont Casse-noisette sort immédiatement et définitivement victorieux. La maladie puis la convalescence de Clara sont symbolisés par son évanouissement et son prompt rétablissement grâce aux soins apportés par Casse-noisette, dont la métamorphose en prince est elle aussi immédiate. Petipa conserve en revanche le monde des poupées, dont il développe l’argument, et auquel il ajoute une dimension narrative plus grande, en le rattachant plus fermement à l’intrigue principale : les deux chapitres de Hoffmann et Dumas deviennent, sur scène, l’essentiel de l’acte II du ballet.
La première version de Disney (1940), qui s’inspire du ballet de Tchaïkovski et non du conte, ne retient que ce second récit merveilleux, qui se trouve détaché de toute narration pour ne plus donner lieu qu’à une représentation enchanteresse d’un monde féerique. De fait, les réalisateurs ne conservent de la musique de Tchaïkovski que des passages emblématiques de l’acte II, et singulièrement du divertissement, à savoir la « Danse chinoise » (n° 12c), la « Danse des petits bergers » ou « Danse des mirlitons » (n° 12e), la « Danse arabe » (n° 12b) et la « Danse russe » (n° 12d). Sont adjoints en clôture la « Valse des fleurs » (n° 13) qui suit le divertissement et, en guise d’ouverture, le début du pas-de-deux (n° 14), la danse de la Fée Dragée : ce passage, accompagné par le célesta, est devenu l’emblème du ballet dans la mémoire collective.
C’est au contraire ce troisième niveau, celui du Royaume des poupées, que supprime Kontchalovski dans son adaptation du conte en 2010. Il ne conserve que les deux récits enchâssés, en inversant leur polarité. Le récit-enchâssé est en effet plus ancré dans le réel que le récit-cadre, puisqu’il se développe comme une métaphore du nazisme : les rats, dont les costumes rappellent les uniformes de l’armée nazie, brûlent les jouets dans de grands fours crématoires, causant la souffrance des enfants, représentée à travers le défilement de photos noir et blanc de visages en gros plan. Pas de merveilleux, donc, dans ce récit secondaire, mais un réalisme cru qui contraste avec le monde enchanteur du récit-cadre transposé à Vienne en 1920.
Les deux films de 2018 s’éloignent du propos, dont ils ne constituent pas des adaptations, mais de véritables réécritures. Sokolov s’inscrit dans la postérité des Contes d’Hoffmann de Jules Barbier et Jacques Offenbach (Paris, 1881) : son personnage principal est Hoffmann lui-même, confronté à ses créatures dans un face-à-face qui interroge la création et prolonge la méditation romantique sur celle-ci. « Nußknacker und Mausekönig » se trouve inclus dans l’argument de Hoffmaniada au même titre que « Der Goldne Topf » [« Le Vase d’or », 1814] ou « Der Sandmann ». Sokolov maintient le principe d’un double niveau, fréquent dans les contes de Hoffmann : l’un correspond à la réalité, puisqu’il met Hoffmann lui-même en scène, l’autre au rêve, puisque Hoffmann s’y transforme en Anselme. Chez Sokolov, Casse-noisette, double et confident du héros, est chargé d’établir un lien entre les deux niveaux. Il est à la fois un objet dans le monde réel et un jouet animé dans le monde onirique.
Quant à Hallström et Johnston, ils imaginent deux mondes parallèles, dans lequels le temps ne coule pas à la même vitesse. L’un est celui du réel, dans lequel la mère de Clara vient de mourir. Dans l’autre, dont elle était reine, un péril menace l’unité des quatre royaumes qu’elle avait créés en animant des jouets. Le conte de la noisette dure de Hoffmann ne joue presque aucun rôle dans ce monde : les souris ne sont guère effrayantes, et Casse-noisette ne casse ni noix ni noisettes. En revanche, le Royaume des poupées joue un rôle fondamental : c’est bien dans ce monde imaginaire et merveilleux que se situe l’intrigue, signalant l’importance du ballet de Tchaïkovski, Petipa et Ivanov dans les sources des réalisateurs des studios Disney.
Le rôle des jouets
La structure du conte de Hoffmann est ainsi nettement plus complexe que la plupart de ses diverses adaptations, y compris dans les longs-métrages. Le motif même de la nuit de Noël, sur laquelle s’ouvre le conte, reçoit des traitements différents, selon qu’il sert de simple élément initial, comme chez Kontchalovski, qu’il disparaît complètement, comme chez Armstrong ou Sokolov, ou qu’il occupe une place centrale, comme c’est le cas chez Tchaïkovski, Stepantsev ou Hallström et Johnston. Dans le conte de Hoffmann, deux éléments servent à inscrire thématiquement le motif de Noël, celui du sapin, sur lequel nous reviendrons plus bas, et celui des jouets, sur lequel nous aimerions revenir ici.
Le motif du jouet automate est en effet présent dans toutes les œuvres du corpus, et étroitement associé à un personnage-clé de l’intrigue, dont on se souvient qu’il permet d’articuler les deux niveaux du récit chez Hoffmann, puisque le parrain Drosselmeier a le pouvoir de donner vie à des figures inertes et d’animer ainsi les jouets des enfants. La face obscure de Drosselmeier renvoie à celles de Coppélius et de son acolyte Spalanzani qui, dans « Der Sandmann », donnent vie à la poupée Olimpia. La figure de Drosselmeier contribue pour une part importante à l’inquiétante étrangeté, à la fois comique et angoissante, du conte de Hoffmann. J’ai pu montrer ailleurs5 que Petipa et Tchaïkovski réussissent, dans le ballet, à exprimer, par des moyens scéniques, la duplicité de Drosselmeier, son appartenance simultanée au monde du réel et au monde de la féerie, et à pallier ainsi – en partie tout au moins – l’absence du récit enchâssé. Sokolov convoque également Drosselmeier comme double créateur dans Hoffmaniada : c’est lui que Hoffmann appelle à son secours, dans un geste théâtralisé, alors qu’il manque d’être mis à la porte du théâtre par le maître de chapelle qu’il attendait pour lui proposer son opéra Undine. Le cœur du film est constitué par un montage alterné de scènes qui présentent tantôt Coppélius et Spalanzani préparant les yeux d’Olimpia, tantôt Hoffmann dans le théâtre vide, alors que son imagination fait apparaître sur scène ses personnages, Casse-noisette et Marie notamment, mais surtout Undine6. Lorsque le maître de chapelle, qui a fait disparaître la féerie par son arrivée, s’en prend au jeune compositeur, celui-ci s’écrie en se tournant vers la scène : « Ах так, Дроссельмейер, сюда7! » [« Ah ! c’est ainsi, Drosselmeier, à moi ! »]. La caméra suit le mouvement ample du bras du héros, ce qui permet de faire apparaître dans le champ le magicien, surgi depuis l’espace scénique dans une chaussure géante qui rappelle le mortier de Baba Yaga8.
La figure de Drosselmeier permet d’insister sur l’importance du motif, à la fois fascinant et inquiétant, de l’objet animé et du pouvoir créateur. Or le conte oppose clairement deux formes d’animation. La première est celle des poupées de la maison créée par Drosselmeier. Elle est impressionnante, mais décevante. Les petits personnages de la maison ne peuvent que répéter indéfiniment le même mouvement. Ils sont pris dans une répétition factice, qui signale leur absence d’âme. Leur perfection est un leurre et un mensonge, qui suscite la colère de Fritz :
Hör' mal, Pate Droßelmeier, wenn deine kleinen geputzten Dinger in dem Schlosse nichts mehr können als immer dasselbe, da taugen sie nicht viel, und ich frage nicht sonderlich nach ihnen. – Nein, da lob' ich mir meine Husaren, die müssen manövrieren vorwärts, rückwärts, wie ich's haben will, und sind in kein Haus gesperrt9.
Eh bien écoute, parrain Drosselmeier : si tes petits bonshommes endimanchés ne peuvent jamais faire que la même chose dans leur château, c’est qu’ils ne valent pas cher ! Et je ne tiens pas particulièrement à eux ! Non, j’aime mieux mes hussards ! Ils sont bien obligés, eux, de se mouvoir à mon gré, d’avancer, de reculer et, au moins, ils ne sont pas enfermés dans une maison10.
Le motif du château animé, qui permet d’interroger tant la création chorégraphique que cinématographique, est repris par Petipa et Tchaïkovski ainsi que par Kontchalovski. Cette condamnation de l’animation automatique, machinale, rejoint un thème fondamental de l’œuvre de Hoffmann, qui transparaît notamment dans « Der Sandmann ». Le montage alterné dans la scène étudiée plus haut, chez Sokolov, permet d’insister sur l’opposition entre cette animation infernale, celle de Coppélius, et l’animation onirique, celle que l’imagination de Hoffmann produit sur scène.
Car il est une autre forme de création, celle qui, par le rêve, permet d’animer tous les jouets, de leur donner, au sens propre, une âme. Il en est ainsi de Casse-noisette, des petits soldats de Fritz ou des poupées de Marie. C’est à ce pouvoir spécifique de création que s’attache à rendre hommage le film de Sokolov. Celui-ci parvient, à travers le travail spécifique de la marionnette, à traduire ce que peut représenter l’animation chez Hoffmann. Casse-noisette y apparaît d’abord comme le compagnon d’infortune que Hoffmann retrouve dans sa mansarde, après s’être réveillé d’un affreux cauchemar où il s’est vu, enfant, aux prises avec L’Homme au sable. Le petit personnage inanimé, qui se trouve alors appartenir au monde du réel, est présenté comme un double de l’auteur par l’introduction du motif du miroir où Hoffmann vient se regarder : c’est parce qu’il se regarde que la figurine, que le spectateur avait pu apercevoir dans sa chambre d’enfant, prend vie11. La marionnette du Casse-noisette reparaît plus tard, d’abord sur la scène de théâtre, puis, à la toute fin du film, dans la mansarde, pour chasser les rats qui viennent dévorer le manuscrit du jeune écrivain. Métamorphosée, elle se trouve alors dotée de la double articulation de la mâchoire et des yeux et de la parole, qui la signalent comme un être vivant. Parmi tous les auteurs de notre corpus, Sokolov, pourtant russe, est le seul à recourir, non à la musique de Tchaïkovski, très largement exploitée et détournée par les autres films, mais bien à la musique de Hoffmann lui-même, preuve qu’il a particulièrement été sensible à la dimension fondamentalement spéculaire et spectaculaire de « Nußknacker und Mausekönig ». Sokolov semble bien renouer ici avec le sens même du conte de Hoffmann, qu’Ingrid Lacheny définit ainsi : « critiquer la bourgeoisie et la société étriquée de son temps en mettant en valeur l’importance de l’art et du rêve et plonger son lecteur dans les profondeurs inquiétantes de l’inconscient12 ».
Le motif de la poupée animée, chez Hoffmann, a partie liée avec le monde du théâtre et du spectacle. L’un des Kreisleriana publiés dans le premier volume des Fantasiestücke in Callot’s Manier [Fantaisies à la manière de Callot], intitulé « Der vollkommene Maschinist » [« Le Parfait Machiniste », 1815], traite précisément du rôle de la « machine » au théâtre, dimension reprise par Sokolov dans la scène qui se déroule dans le théâtre vide. Ce serait donc une erreur de perspective de voir chez Tchaïkovski l’origine de la dimension spectaculaire de l’œuvre. On pourrait plutôt considérer que Petipa et Tchaïkovski s’emparent de ce conte précisément parce qu’ils en ont perçu la dimension spectaculaire. Plus qu’un conte de Noël, il s’agit d’un spectacle de Noël, où théâtre, danse et musique sont omniprésents. L’immense boîte à musique qui ouvre le conte en est un bel exemple, qui trouve son prolongement dans les chapitres relatant la traversée du monde des poupées. Ceux-ci, loin d’être une digression gratuite, constituent bien le développement du thème majeur du conte, qui porte sur la création. Comment créer, dans l’œuvre d’art, autre chose que des poupées animées ? Comment donner une âme à sa créature ? Dans « Das Puppenreich », les héros se promènent dans la forêt de Noël :
Nußknacker klatschte in die kleinen Händchen, und sogleich kamen einige kleine Schäfer und Schäferinnen, Jäger und Jägerinnen herbei, die so zart und weiß waren, daß man hätte glauben sollen, sie wären von purem Zucker, und die Marie, unerachtet sie im Walde umherspazierten, noch nicht bemerkt hatte. Sie brachten einen allerliebsten, ganz goldenen Lehnsessel herbei, legten ein weißes Kissen von Reglisse darauf und luden Marien sehr höflich ein, sich darauf niederzulassen. Kaum hatte sie es getan, als Schäfer und Schäferinnen ein sehr artiges Ballett tanzten, wozu die Jäger ganz manierlich bliesen, dann verschwanden sie aber alle in dem Gebüsche. »Verzeihen Sie,« sprach Nußknacker, »verzeihen Sie, werteste Demoiselle Stahlbaum, daß der Tanz so miserabel ausfiel, aber die Leute waren alle von unserm Drahtballett, die können nichts anders machen als immer und ewig dasselbe; und daß die Jäger so schläfrig und flau dazu bliesen, das hat auch seine Ursachen. Der Zuckerkorb hängt zwar über ihrer Nase in den Weihnachtsbäumen, aber etwas hoch13!
Casse-Noisette frappa dans ses petites mains : aussitôt, un petit monde de bergers et de bergères, de chasseurs et de chasseresses accourut : tous étaient d’une telle blancheur et d’une telle délicatesse qu’on eût pu les croire de sucre pur ; ils se promenaient dans la forêt, mais Marie ne les avait pas encore remarqués ; ils apportèrent un ravissant fauteuil tout en or, posèrent dessus un coussin de réglisse blanche et invitèrent fort poliment Marie à s’y asseoir. Aussitôt qu’elle fut installée, bergers et bergères dansèrent un charmant ballet au son des cors de chasse ; puis tous disparurent de nouveau dans les taillis.
Soyez indulgente, chère demoiselle Stahlbaum ; cette danse s’est terminée lamentablement, mais c’est que tous font partie de notre ballet de marionnettes et ne savent que répéter toujours les mêmes mouvements ; quant aux chasseurs, ils ont mis bien peu d’entrain à souffler dans les cors : on les eût dits endormis ; mais cela n’est pas non plus sans raison, car le panier de sucre, bien qu’il pende au-dessus de leur nez dans les sapins, est vraiment un peu trop haut14 !
« Nußknacker und Mausekönig » se donne alors à lire comme une réflexion sur le spectacle. La relation amoureuse entre Marie et Casse-noisette réalise ce que les spectacles trop mécaniques, trop stéréotypés, peinent à représenter. « Nußknacker und Mausekönig » a bien une double dimension poétique : il interroge certes la poétique du conte pour enfants, comme l’enchâssement dans Die Serapionsbrüder le révèle, mais il interroge aussi ce qui a constitué l’autre grande affaire de la vie de Hoffmann, celle du spectacle total que constitue l’opéra. En ce sens, la fortune de Casse-noisette sur la scène, à partir de Tchaïkovski, la place réservée à la danse et au théâtre dans la plupart des interprétations filmiques postérieures, à commencer par la forme presque métapoétique de Disney en 1940, sont bien conformes au projet initial de Hoffmann et expliquent sans doute sa portée inter- ou transnationale.
Casse-noisette, entre héritage culturel local et universalité
Qu’en est-il, alors, de l’ancrage culturel de Casse-noisette ? Hoffmann ancre son conte dans la réalité allemande, mais l’ouvre sur une forme d’universalité propre aux contes. Il recourt à de nombreuses adresses aux enfants allemands de son temps, qui portent les mêmes prénoms que ses héros. Il s’agit bien d’inscrire le récit principal dans l’univers familier d’une veille de Noël en Allemagne. Mais cet ancrage culturel s’estompe au gré des réécritures ultérieures. Ingrid Lacheny note que
le récit qui se déroule initialement pendant la période de l’occupation napoléonienne se dépouille petit à petit de toute charge historique. L’œuvre apparaît alors dans sa forme anhistorique atemporelle et empreinte d’universalité. Elle devient un non-lieu onirique, concrétisant de la sorte le royaume hoffmannien de l’imaginaire, des rêves et l’enfance perdue15.
Paradoxalement, la dimension germanique du texte de Hoffmann peut être mise au service de la déréalisation du récit. Dumas, par exemple, insiste sur la dimension allemande du conte et en fait un trait d’exotisme, ce qui, simultanément en accentue le merveilleux, puisqu’il défamiliarise en quelque sorte le récit-cadre pour son public de petits Français :
Donc, l’Allemagne, étant un autre pays que la France, a d’autres habitudes qu’elle. En France, le premier jour de l’an est le jour des étrennes, ce qui fait que beaucoup de gens désireraient fort que l’année commençât toujours par le 2 janvier. Mais, en Allemagne, le jour des étrennes est le 24 décembre, c’est-à-dire la veille de la Noël. Il y a plus, les étrennes se donnent, de l’autre côté du Rhin, d’une façon toute particulière : on plante dans le salon un grand arbre, on le place au milieu d’une table, et à toutes ses branches on suspend les joujoux que l’on veut donner aux enfants ; ce qui ne peut pas tenir sur les branches, on le met sur la table ; puis on dit aux enfants que c’est le bon petit Jésus qui leur envoie leur part de présents qu’il a reçus des trois rois mages, et, en cela, on ne leur fait qu’un demi-mensonge, car, vous le savez, c’est de Jésus que nous viennent tous les biens de ce monde16.
Après Dumas, c’est Kontchalovski qui semble chercher le plus ostensiblement à donner à son œuvre une coloration « germanique ». Outre la référence appuyée au nazisme, dont on peut penser qu’elle éloigne considérablement le propos de son film de celui du conte de Hoffmann, il est fait à de multiples reprises mention du docteur Freud, figure importante de la Vienne des années 1920 où se déroule le récit-cadre, mais également d’Einstein, dont la théorie de la relativité sert de principe explicatif à la juxtaposition des deux mondes, tandis que la poétique du film évoque l’ombre du Metropolis de Fritz Lang (1927).
Le motif du sapin, dont Dumas fait une réalité allemande, devient, à partir de Tchaïkovski, un motif essentiellement russe. L’espace scénique du ballet se construit en effet autour de ce sapin17. Celui-ci constitue une sorte de synecdoque de la forêt russe, qui se substitue à lui à partir du 2e tableau du 1er acte, et unit les deux parties de l’œuvre. La célèbre valse des flocons de neige, seul morceau musical accompagné de chœurs chantés, intervient à la fin du premier acte, après un changement de décor qui métamorphose la scène en paysage hivernal18. Ce moment-clé de l’œuvre suffit à l’inscrire dans un « thème russe », que reprennent les œuvres ultérieures, et notamment le film des studios Disney en 2018. Si le récit-cadre s’inscrit dans un Londres nocturne qui rappelle la ville à la fois réelle et magique mise en scène dans Harry Potter and the Philosopher's Stone [Harry Potter à l’école des sorciers] par Chris Columbus (Warner Bros Pictures, Heydad Films, 1492 Pictures, 2001), le monde féerique des « quatre royaumes » s’inscrit dans un exotisme russe appuyé. L’héroïne traverse, de nuit, une forêt de sapins enneigés19 qui font écho à l’immense sapin de Noël des scènes londoniennes du début du film. Comme chez Tchaïkovski, la forêt constitue le versant sauvage et inquiétant dont la traversée relève du rite initiatique. Accompagnée de Casse-noisette, Clara parvient au petit matin dans un palais à bulbes colorés digne des illustrations de contes russes les plus stéréotypées20 : ce palais emprunte ses éléments de décor aux églises russes médiévales, ou plus encore au style néo-russe dont la Cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-sang-versé (Saint-Pétersbourg, 1883-1907) constitue l’un des exemples les plus célèbres.
Pourtant, l’œuvre de Petipa et Tchaïkovski est, à y bien regarder, très peu « russe ». L’éducation du jeune Tchaïkovski doit beaucoup à sa gouvernante française, Fanny Durbach, qui l’initie à une culture d’enfance peu éloignée de la culture populaire. Casse-noisette, plus que toutes les autres œuvres du compositeur, en porte la marque. Trois chansons populaires sont en effet reprises dans la partition du ballet, « Bon voyage, Monsieur Dumollet », « Giroflée-Girofla » et « Cadet-Rousselle ». Toutes les œuvres ultérieures semblent également puiser à divers fonds culturels, en superposant un ancrage contextualisé, des éléments repris des œuvres précédentes sous forme de clins d’œil plus ou moins appuyés, et des éléments de portée universelle. Cette imbrication fait paradoxalement de ces productions médiatiques destinées aux plus jeunes des œuvres difficilement lisibles de tous, ou tout au moins caractérisées par un phénomène de double adresse, dont on a coutume de considérer qu’il constitue un trait spécifique des cultures de jeunesse21.
Le film d’animation soviétique de Stepantsev est un hommage appuyé à Tchaïkovski, à qui il emprunte l’intégralité de sa bande-son, d’autant plus mise en valeur que le film est muet, comme un ballet, et comme l’était avant lui le film repris dans Fantasia. La musique de Ŝelkunčik est très largement utilisée pour souligner la narration du film, avec quelques emprunts à d’autres œuvres, comme Lebedinoe ozero [Le Lac des cygnes, Moscou, 1877]. Mais cet hommage s’inscrit aussi dans la rivalité qui oppose, en cette époque de guerre froide, Disney et Soyuzmultfilm. On trouve ainsi dans le court-métrage des références à Fantasia, comme le traitement du motif du balai, symbole de The Sorcerer's Apprentice [L’Apprenti-sorcier] de James Algar (Disney, 1940). Dans ce court-métrage, le balai enchanté s’anime pour aider le jeune héros dans ses corvées. Stepantsev reprend ce motif et fait de l’animation du balai de Clara le premier événement magique du film22, dans un effet de citation graphique qui souligne l’intericonicité entre les deux œuvres. Les choix esthétiques de Stepantsev ne se comprennent ainsi qu’en comparaison avec ceux de ses prédécesseurs américains. Ainsi s’explique peut-être le choix de conserver l’épisode qui se déroule au sein du royaume des poupées, partie traitée de manière abstraite et virtuose par Stepantsev, comme dans les dessins animés les plus expérimentaux de Fantasia.
Pourtant, l’idéologie dans laquelle s’inscrit le dessin animé est clairement soviétique. Aucune mention n’est faite du petit Jésus ; le sapin de Noël, très important dans la culture soviétique comme russe, est dépourvu de tout symbole religieux. Les vêtements de l’héroïne et ses activités soulignent qu’elle appartient à la classe populaire : elle regarde par la fenêtre des bourgeois fêter Noël, alors même que, pauvre et seule, elle en est privée. Fritz est un gros bourgeois qui casse les jouets parce qu’il en a trop. Marie vient pour faire le ménage, et c’est ainsi qu’elle sauve le petit Casse-noisette dédaigné par les autres. Marie, dans ce film, semble tenir à la fois de Cosette et de Cendrillon, personnage transposé au cinéma par les studios Disney en 1950 (Clyde Geromini, Wilfred Jackson et Hamilton Luske, Cinderella). L’emblème de sa misère est les sabots qu’elle porte et qui la gênent pour danser : le motif de la chaussure peut ici rappeler celui de la pantoufle de verre, si importante dans le film américain. Se superpose ici le motif du conte de Cendrillon et celui de Casse-noisette : chez Hoffmann, c’est avec sa chaussure que Marie vainc le roi des rats. Tchaïkovski et Petipa ont l’idée de génie de remplacer cette chaussure par un chausson, symbole de la danse et de la libération par l’art. Chez Stepantsev, c’est le sabot qui est lancé23, symbole cette fois de l’émancipation des classes populaires par la révolution. Comme dans Cendrillon, Casse-noisette, changé en prince, remplace alors ce sabot par une belle chaussure et achève la métamorphose de la pauvresse en princesse.
La version Disney de 2018 rend également hommage au Fantasia de 1940, en représentant dans le générique de fin le chef d’orchestre, présenté de dos au centre du plan, figure noire sur un fond orangé où se reflètent les ombres des musiciens24. Cette version est néanmoins également fortement inscrite dans un discours idéologique, très éloigné de celui de Stepantsev. La jeune héroïne appartient à la haute société londonienne, et les symboles aristocratiques l’inscrivent dans la tradition du conte merveilleux occidental, conte de princes et de princesses. Il s’agit bien, comme le souligne Ingrid Lacheny, « d’américaniser pour le grand public et d’internationaliser le récit germanophone ou, plus exactement, de s’en inspirer dans le but de produire autre chose25 ». Dans cette version contemporaine se donne à voir la volonté de condamner les stéréotypes ethniques et genrés, volonté qui semble orienter l’ensemble des productions émanant des studios Disney ces dernières années. Le ballet hip hop créé en 2014 par Jennifer Weber (The Hip Hop Nutcracker) avait également pour fonction d’interroger les stéréotypes ethniques et genrés associés à la danse classique, et tout particulièrement au divertissement de Ŝelkunčik (1892). Un film a été produit par Disney, en 2022, à partir de cette chorégraphie, soulignant l’affinité entre la proposition scénique de Jennifer Weber et le discours porté aujourd’hui par le studio américain.
Casse-noisette est-il un « conte de Noël » ? On serait, au terme de ce parcours, tenté de répondre négativement. L’ensemble des variantes de l’œuvre, depuis sa création par Hoffmann, ne constitue pas un propos unique et stéréotypé. Chacune des variations en constitue un commentaire singulier, qui oriente le propos en fonction du contexte culturel et idéologique et du public visé. Stepantsev et Hallström et Johnston ne racontent pas la même histoire, Hoffmann et Tchaïkovski non plus : ils élaborent des contes de Noël singuliers, inscrits dans un ancrage culturel spécifique plutôt que mondialisé. Ce qu’il y a en revanche d’universel dans « Nußknacker und Mausekönig » ne tient pas précisément à Noël : Sokolov, qui est sans doute l’un des créateurs les plus fidèles à l’univers hoffmannien, se passe de cette fête lorsqu’il reprend le motif de Casse-noisette. Hoffmann et, après lui, Tchaïkovski ou Sokolov se penchent dans Casse-noisette sur la dimension esthétique de la création ; ils parviennent à interroger la mécanique sans âme des poupées animées, au moment même où ils les mettent en scène de manière virtuose pour le plaisir de leurs lecteurs et spectateurs. Il n’y a sans doute pas de meilleur genre, et de plus périlleux à la fois, que le conte de Noël pour tenter de donner vie à des marionnettes, pour interroger la nature des stéréotypes et leur nécessaire dépassement. Ingrid Lacheny soulignait avec raison « l’aspect international et transculturel », « indéniable dans les différentes transpositions esthétiques de l’œuvre-source26 », de Casse-noisette. Mais dans cette universalité, Noël ne constitue pas tant le centre que le seuil, ou l’un des seuils qui permettent de représenter le moment même où réel et imaginaire se superposent dans le geste de création.
1. Notons dès à présent que deux de ces cinq films (ceux de Konchalovski et Hallström et Johnston) sont également cités par Ingrid Lacheny dans « Du ballet russe au grand écran outre-Atlantique. Que reste-t-il du Casse-Noisette d’E.T.A. Hoffmann ? », in Traduction et transmédialité (XIX-XXIe siècles), dir. Gaëlle Loisel et Fanny Platel, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 103-118.
2. Sur cette question, on pourra consulter Georges Zaragoza, « Qu’est-ce qu’un conte pour enfant ? Les Casse-noisette de Hoffmann et Dumas », in Cahiers d’études nodiéristes n° 8 : Littérature de jeunesse et Europe romantique, dir. Caroline Raulet-Marcel et Virginie Tellier, 2019, p. 123-138.
3. Les deux volumes, réunis en un seul, ont été édités en français sous le titre L’Épée et les serpents, Dinan, Terre de Brume, « Terres Fantastiques », Littérature, 2004. Les traductions sont d’Albert Béguin, Isabelle David, Madeleine Laval et Élisabeth Willenz.
4. Sigmund Freund, « L’Inquiétante Étrangeté » [Das Unheimliche, 1919], in L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, trad. Fernand Cambon, Paris, Gallimard, « Folio essais » n° 93, 1988.
5. Virginie Tellier, « Casse-noisette de Tchaïkovski. Une œuvre patrimoniale pour l’enfance », Cahiers d'études nodiéristes, n° 8 : Littérature de jeunesse et Europe romantique, dir. Caroline Raulet-Marcel et Virginie Tellier, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 139-158.
6. Stanislav Sokolov, Gofmaniada, Sojuzmulʹtfilʹm, 2018, 0:31:57.
7. Ibid., 0:33:24.
8. Ibid., 0:33:29.
9. E.T.A. Hoffmann, « Nußknacker und Mausekönig », Die Serapions-Brüder I, Leipzig, Mar Hesse’s Verlag, 1900, p. 200.
10. E.T.A. Hoffmann, Casse-noisette, trad. Madeleine Laval, Paris, Gallimard, « Folio junior », 2003, p. 17.
11. Stanislav Sokolov, op. cit., 0:12:14.
12. Ingrid Lacheny, art. cit., p. 109.
13. E.T.A. Hoffmann, « Nußknacker und Mausekönig », éd. cit., p. 237-238.
14. E.T.A. Hoffmann, Casse-noisette, éd. cit., p. 99.
15. Ingrid Lacheny, art. cit., p. 112.
16. Alexandre Dumas, Histoire d’un Casse-noisette, ill. Bertall, vol. I, Paris, Hetzel, 1845, p. 19-21.
17. Sur la signification de ce motif, voir Irina Skvortsova, Balet P. I. Čajkovskogo «Ŝelkunčik»: opyt harakteristiki, Publications du Conservatoire de Moscou, 2011, p. 35. La spécialiste s’appuie sur l’édition de la partition publiée à Moscou en 1974.
18. Sur l’importance de ce passage et sa signification dans le ballet, voir André Lischke, Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Paris, Fayard, 1993, p. 687.
19. Lasse Hallström et Joe Johnston, The Nutcracker and the Four Realms, Disney, 2018, 0:16:58.
20. Ibid., 0:24:40.
21. Voir à ce sujet la thèse défendue par Nathalie Prince dans La Littérature de jeunesse. Pour une théorie littéraire, Paris, Armand Colin, 2010.
22. Boris Stepancev, Ŝelkunčik, Sojuzmulʹtfilʹm, 1973, 0:4:13.
23. Ibid., 0:17:53.
24. Lasse Hallström et Joe Johnston, op. cit., 1:26:31
25. Ingrid Lacheny, art. cit., p. 114.
26. Ibid., p. 116.